Les réverbères : arts vivants

Le Tout-Monde de la Bâtie ‘23

Au soleil de mi-juin, dans le décor bucolique de Sadara, la Buvette du Bois-de-la-Bâtie, les trois programmatrice et programmateurs ont ouvert la perspective d’une fin d’été culturel et pluridisciplinaire avec une 47ème édition pantagruélique qui se tiendra du 31 août au 17 septembre prochain.

Le programme de la Bâtie ressemble à une notice de montage d’une étagère Ikea. Ça va être chouette mais diantre que cela semble ardu de faire des choix dans la pléthore de l’offre : 155 représentations (théâtre, danse, musique, cirque, performance, …) programmées dans 57 lieux partenaires pour 18 jours de festival visitant 31 villes et communes. Présenter le menu relève d’une liste à la Prévert et pourtant un mot-clé chapeaute l’entreprise : la diversité. Découvertes artistiques, talents prometteurs et grands noms de la scène internationale vont nous offrir une salade tutti frutti inédite dont voici ci-dessous une sélection toute subjective et loin d’être exhaustive.

Un festival d’incontournables

Ça commence par François Gremaud qui non seulement revient avec son prodigieux seul en scène Phèdre ! mais y ajoute Giselle (danse) et Carmen (opéra) pour une trilogie hyper-prometteuse. Un peu ailleurs, sous le chapiteau des circassiens, on retrouvera Alexander Vantournhout qui, avec le titre quasi éponyme VanThorhout, performe pendant cinquante minutes de danger imminent avec le marteau de Thor pour questionner le rapport entre l’homme et l’objet.

Considéré comme l’un des chorégraphes les plus importants de sa génération, Trajal Harrel essaiera quant à lui, dans The Romeo, sa dernière création présentée cet été à Avignon, de réunir tous les imaginaires et toutes les cultures dans une et une seule danse intuitive et libre. Une autre chorégraphe, Anne Teresa De Keersmaeker invitera quatre danseurs et le violoncelliste de renommée internationale Jean-Guihen Queyras un opus au titre improbable : Mitten wir im Leben sind / Bach6Cellosuiten. Etreinte fascinante entre musique et danse pour faire étinceler les six suites le créateur de génie qu’était Jean-Sébastien Bach.

Sur les scènes des concerts, on pourra écouter la compositrice et organiste américaine Kali Malone, jouer sa musique minimaliste et introspective sur le grand orgue de la Cathédrale Saint-Pierre, ainsi que le One Song de l’artiste Miet Warlop, qui ouvrira le festival avec une performance déjantée entre théâtre, salle de sports, concert et transe pour évoquer les chagrins passés. Pour les amateurs de rap et de textes ciselés, notons encore l’étoile montante Zed Yun Pavarotti dont le talentueux Chien bleu fera la première partie.

Diversité des propositions et diversité des lieux : La Bâtie investit toujours plus le Grand Genève, à l’image du spectacle itinérant de Sarah Calcine, Privés de feuilles les arbres ne bruissent pas, avec quinze représentations à chaque fois dans un lieu différent. Autant d’occasions de découvrir l’histoire ponctuée de silences de cette cavale à la Thelma et Louise des campagnes.

Un festival du local à l’universel

Offrir des visions plurielles, témoigner des évolutions sociétales, valoriser la créolité artistique : la Bâtie est l’occasion de se laisser surprendre par des spectacles venus de tous les horizons.

La Chilienne Amanda Piña convoquera ses ancêtres dans un rituel dansé exubérant avec Exotica ; l’Uruguayenne Tamara Cubas donnera la parole avec Ofrenda para el monstruo à la génération des 18-24 ans qui sont exposés à une sorte de choc entre le passé, le présent et le futur qui libère une énorme quantité d’énergie et de peurs face à l’abîme de l’inconnu. Une performance qui s’annonce… monstrueuse.

La compagnie sud- africaine Empatheatre viendra quant à elle pour la première fois à Genève présenter Isidlamlilo (The Fire Eater), l’histoire vraie d’une femme – interprétée par la formidable comédienne Mpume Mthombeni – qui doit, pour prouver qu’elle existe, faire face à un passé qu’elle voulait oublier.

Enfin, plusieurs projets mettront à l’honneur le Liban pour témoigner du contexte social exacerbé que traverse ce pays. Pami ceux-ci, relevons l’originalité de la démarche artistique d’Hiba Najem qui, grâce à son théâtre culinaire et participatif, nous rappellera le temps d’avant avec l’histoire et la saveur de recettes sorties de l’oubli. Ainsi dans Fatayer bi Banadoura, elle parle et cuisine les chaussons aux tomates du village de sa mère… avant de nous les faire déguster. Hashem Hashem quant à lui questionnera les genres, la sexualité les droits de l’homme au Liban dans un puissant seul en scène nommé Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre.

Un festival de créations

Douze coproductions de créations et dix-neuf spectacles en première à La Bâtie… Qui dit mieux ? Commençons par Le spectacle de merde de Marion Duval où de drôles de marginaux des arts de la scène viennent provoquer le bourgeois dans une rencontre qui est d’abord une occasion de se connaître soi-même.

On se réjouit de même du joyeux théâtre culinaire et participatif de Floriane Facchini avec Ce que nous dit l’eau. Elle proposera une balade dans la nature jusqu’à un campement où le public mangera le territoire et boira le paysage. Philosophie, poésie et écologie pour une cartographie de nos attachements.

Au rayon des performances, Davide-Christelle Sanvee jouera sa création Face de Pierre dans le cadre inhabituel de la Cour de l’Hôtel de Ville de Genève. Drapée en République et coiffée des bastions de la Rome protestante, elle viendra déplacer les mythologies identitaires avec humour et finesse. L’identité et sa quête seront aussi au cœur du seul-en-scène théâtral de Nelson Schaub, Less tears ! More action !, dans lequel on retrouvera un anti-héros dont les voix intérieures ne l’autorisent pas à être lui-même.

Du côté de la danse, Baptiste Cazaux continuera, avec Gimme a break !!!, ses recherches sur le lâcher prise comme stratégie de survie face au capitalisme. Et avec L’Oeil nu, les six danseur·se·s de Maud Blandel évoqueront la dégénérescence du corps de son père en la comparant avec la fin d’une étoile dans le cosmos.

Un festival comme horizon

La Notte, lieu central de la Bâtie à la Maison communale de Plainpalais, rassemblera les noctambules jusqu’à l’aube autour de sept soirées festives avec concerts, DJ sets, performances… Jusqu’au bout, la Bâtie se veut un pont entre les disciplines, les cultures, les gens. Le spectacle sera partout, dans les lieux institutionnels comme sur les parkings, la marge deviendra le centre, l’éloignement la proximité, une diversité qui reflète l’entrechoc des réalités qui éclaire l’actualité. Les festivals servent à cela : à réfléchir, questionner et ressentir le monde, à ouvrir des territoires et des imaginaires, à rêver d’un futur plus dégagé que dévasté grâce à la magie sans cesse renouvelée des arts vivants.

Stéphane Michaud

Retrouvez le programme complet du festival et tous les détails de chaque spectacle sur le site de La Bâtie – Festival de Genève.

Photos : © The Worksphop

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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