L’enfance comme vous ne l’avez jamais vue
C’était l’un des spectacles les plus attendus au Théâtre de Carouge cette saison : Wendy et Peter Pan, d’après l’œuvre de James Matthew Barrie, dans une mise en scène de Jean-Christophe Hembert, a livré sa première vendredi 10 janvier. Après le grandiose Fracasse en 2022, cette nouvelle adaptation nous laisse cette fois plus perplexes.
De Peter Pan, on se souvient bien sûr du Disney de notre enfance. D’autres, comme moi, évoqueront sans doute aussi le Hook de Spielberg, dans lequel Peter revient dans le Pays imaginaire qu’il avait oublié, au moment de grandir. On connaît peut-être moins l’œuvre originale, signée James Matthew Barrie, au début du XXe siècle. C’est pourtant sur celle-ci que s’appuient Jean-Christophe Hembert et Loïc Varraut pour leur adaptation présentée à Carouge. La principale nuance par rapport à l’histoire que l’on connaît est le rôle plus important confié à Wendy. Mais revenons-en à l’histoire : Wendy (Judith Henry) et son petit frère John (Loïc Varraut) suivent Peter Pan (Karl Eberhard) au Pays du plus jamais – traduction littérale du Nevermore que l’on connaît souvent sous le nom de Pays imaginaire. Là-bas, les enfants ne grandissent pas, et affrontent pirates et indiens dans des aventures enfantines qui deviennent réalité. Et bien sûr, le grand ennemi de Peter Pan y est présent : le Capitaine James Crochet (Bruno Bayeux).
Retour en enfance ?
Tout commence par une photo de famille : dans un intérieur chic anglais, celui des Darling, tout le monde se présente tour à tour et le rôle qu’iel jouera dans cette histoire. Il y a, à ce moment-là, quelque chose de choral et d’assez enfantin, comme des minots qui s’inventent une aventure et se répartissent les rôles. La dimension de jeu est ainsi totalement assumée dès le début et mise en avant. Le public est d’ailleurs pris à partie et plongé immédiatement dans l’ambiance, et les comédien·ne·s rappelleront régulièrement qu’iels jouent devant des spectateur·ice·s.
Iels évoluent ensuite dans le décor constitué de quatre impressionnants modules montés sur roulettes, qui figurent, selon comment on les positionne, la maison des Darling, le bateau des pirates, de dangereuses falaises ou chez Peter Pan… Nous voilà emmené·e·s dans cet univers magique créé par ce décor très visuel, accentué par les jeux de lumière et de fumés, ainsi que les costumes, à grands renforts de perruques, coiffes et autres accessoires de jeux. À voir ce spectacle, il y a véritablement quelque chose de magique qui se développe. On entre dans cet autre monde qu’est le Pays du plus jamais, avec ces enfants qui ne grandissent pas, ces aventures dont on a toutes et tous rêvé étant plus jeunes. Pourtant, il semble manquer quelque chose pour nous immerger complètement dans cette adaptation de Wendy et Peter Pan.
Des choix tiraillés
Wendy et Peter Pan parle avant tout de l’enfance : on y retrouve les rires, les jeux, la magie, comme dans la version de Walt Disney, mais aussi les blessures et les traumatismes, sur fond d’abandon et de deuil, comme dans l’œuvre originale de James Matthew Barrie. Sans oublier ce Capitaine Crochet, interprété par Bruno Bayeux – le fait qu’il joue aussi Mr Darling en dit long sur la symbolique… – et qui n’est pas sans rappeler la performance de Dustin Hoffman dans Hook. Toutefois, on a le sentiment que chacune de ces trois inspirations a voulu être exploitée par l’équipe, sans qu’aucune ne se démarque véritablement. Le rôle de Wendy, comme le sous-entend le titre du spectacle – est fortement mis en avant. Ainsi, elle accepte de rejoindre Peter Pan et ses amis pour jouer le rôle de la maman, qu’elle fantasme avant de grandir et de l’exercer pour de vrai. Son rôle contraste d’ailleurs avec celui de Tinkerbell (Agnès Ramy) – seul nom qui n’est pas traduit d’ailleurs – qui jure comme une charretière et semble être sous l’effet de certaines substances. Le rôle de la fée, correspondant bien à celui décrit par Barrie, semble encore toutefois un peu fragile, manquant peut-être de nuances. Car c’est bien Tinkerbell qui dénonce la cachette de Peter Pan à Crochet, avant de s’en reprendre… mais la voilà tout de même bien éloignée de la douceur et de l’attention de la figure maternelle représentée par Wendy, qu’elle jalouse.
Au final, ce qui nous laisse un peu perplexe et sur notre faim à la sortie de la représentation est cette dimension un peu floue, dans laquelle on se perd, entre une enfance joyeuse, naïve, basée sur le jeu, et cette enfance brisée, blessée, qu’on cherche à revivre d’une meilleure manière pour ne pas grandir. On oscille ainsi entre cet imaginaire léger et quelque chose d’assez malsain : Wendy qui joue le rôle de la maman – même Crochet le lui demande – alors qu’elle n’est qu’une enfant ; Tinkerbell et ses attitudes qui peuvent rappeler celles de certains parents qui créent des traumatismes à leurs enfants… Au final, on a le sentiment qu’à trop vouloir explorer toutes les pistes, on finit par ne pas s’engager dans une, donnant l’impression qu’il manque un liant à l’ensemble. Wendy et Peter Pan n’en demeure pas moins un joli spectacle, durant lequel on ne s’ennuie pas, et qui subjugue par la beauté de sa scénographie. Il nous manque simplement ce petit supplément d’âme qui avait fait le succès de Fracasse.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Wendy et Peter Pan, d’après James Matthew Barrie, adapté par Jean-Christophe Hembert et Loïc Varraut, du 10 au 26 janvier 2025 au Théâtre de Carouge.
Mise en scène : Jean-Christophe Hembert
Avec Bruno Bayeux, Stéphane Bernard, Jacques Chambon, Karl Eberhard, Judith Henry, Agnès Ramy et Loïc Varraut
https://theatredecarouge.ch/spectacle/wendy-et-peter-pan/
Photos : ©Marie Marcon