Les maths, c’est aussi une histoire de femmes
Qui a dit que les mathématiques étaient réservées aux hommes ? Marguerite, seule étudiante au sein d’une classe de garçons, tend à prouver le contraire. Et alors que les éléments semblent contre elle, c’est paradoxalement ce qui lui permettra de se découvrir en tant que femme. Une belle histoire à découvrir dans Le Théorème de Marguerite.
Marguerite Hoffmann (Ella Rumpf) est en train de terminer sa thèse sur la conjecture de Goldbach[1]. Alors qu’elle doit présenter son travail devant un séminaire de chercheurs, son directeur de thèse, Laurent Werner (Jean-Pierre Darroussin), lui annonce qu’il a décidé de suivre également un étudiant venu d’Oxford, qui travaille sur le même champ de recherche. Durant la présentation, c’est précisément lui, Lucas Savelli (Julien Frison), qui lui pose une question, remettant en cause toute sa théorie. Marguerite quitte la salle, puis l’ENS, malgré les inquiétudes du professeur Werner et de Suzanne (Clotilde Courau), sa mère. Cet événement l’obligera à sortir de sa zone de confort et du monde des mathématiques, pour découvrir la vie et surtout apprendre à se connaître elle-même. Pour mieux revenir aux mathématiques, enterrer sa rivalité avec Lucas et devenir une femme et une mathématicienne épanouies ?
Une histoire d’émancipation
Au-delà de la dimension mathématique passionnante, et étayée par de vraies recherches – la réalisatrice Anna Novion a fait appel à la mathématicienne Ariane Mézard pour superviser cette dimension – Le Théorème de Marguerite est avant tout un film sur la quête de soi. Marguerite peut, de prime abord, paraître plutôt stéréotypée : peu sociable, très timide, passionnée uniquement par les mathématiques, elle est ce qu’on appellerait une geek. L’échec auquel elle doit faire face s’apparente ainsi à un mal pour un bien. À la suite de cela, en cherchant du travail, elle rencontre Noa (Sonia Bonny), une danseuse à la recherche d’une colocataire. Le hasard fait bien les choses… La jeune femme est à l’opposé de ce que Marguerite connaît : Noa adore la fête et la danse, un monde qu’elle fera découvrir à sa nouvelle amie. Cette dernière découvre également les plaisirs de la chair, tout en gardant son côté parfois décalé qui la caractérise. Grâce à Noa, elle découvre aussi le Mah-jong, ce jeu ancestral chinois. Grâce à ses aptitudes en mathématiques, elle deviendra une véritable reine de ce jeu, ce qui lui permettra de payer son loyer grâce aux parties clandestines.
Cette ouverture sur le monde lui permet de mieux revenir aux mathématiques, avec une approche différente et un esprit plus libéré. Comme si elle avait besoin de se découvrir pour franchir un nouveau cap. Car derrière la chercheuse, il y a aussi un être humain qui a besoin de s’épanouir. On se pose alors la question de sa santé mentale, sous-jacente à ce propos. Marguerite peut avoir tendance à se concentrer uniquement sur ses recherches, de manière obsessionnelle, quitte à y laisser sa santé mentale. On ne peut alors s’empêcher de faire le lien avec John Forbes Nash, ce mathématicien et économiste, lauréat du Prix Nobel, que Russell Crowe interprétait magnifique dans Un homme d’exception. Obsédé par ses travaux, mais atteint de schizophrénie, il a failli ne pas en revenir. Un joli clin d’œil lui est d’ailleurs adressé, lorsque Marguerite se met à écrire des formules mathématiques sur la vitre, grâce à la buée. À la manière de John, qui écrivait sur tous les supports possibles et imaginables, dans sa chambre d’étudiant puis dans son bureau. Leurs lieux de travail s’avèrent d’ailleurs assez similaires. On ne peut pas non plus s’empêcher de penser à Mileva Einstein, l’épouse du célèbre scientifique, qui n’a pu révéler ses recherches au grand jour, car c’était mal vu au début du XXe siècle qu’une femme présente de tels travaux. Les débuts conflictuels de la relation entre Marguerite et Lucas ne sont pas sans nous le rappeler…
Une dimension féministe
Le choix du milieu encore très masculin des mathématiques n’est pas anodin. Marguerite doit faire ses preuves plus que les autres, même si elle détient l’esprit le plus brillant de sa classe. Le fait qu’un homme invalide toute sa théorie – bien qu’il ait raison et ne soit pourvu d’aucune mauvaise intention – ainsi que le discours de Laurent Werner, qui l’enjoint à changer de sujet et de directeur, alors qu’elle était presque au bout, nous poussent forcément à réfléchir à la dimension féministe de ce film. Celle-ci est bien amenée, de manière subtile, dans le lien que Marguerite crée aussi avec Noa. À l’opposée d’elle, elle assume totalement sa féminité, poussant presque cet aspect à l’extrême, en se montrant particulièrement sûre d’elle. C’est elle qui lui ouvrira certaines voies, en lui permettant de découvrir des plaisirs de la vie auxquels elle était totalement hermétique. C’est aussi grâce à son soutien, et à celui de sa mère, qu’elle parviendra à faire évoluer ses recherches. On n’oubliera certes pas l’aide de Lucas sur les aspects mathématiques, mais Noa semble être véritablement l’élément déclencheur.
Et alors qu’elle retrouve Lucas, une complicité se développe véritablement entre les deux protagonistes, qui se soutiennent mutuellement pour avancer dans les recherches. Jusqu’au happy end final tant attendu. On ne peut pas parler de surprise à ce niveau-là, mais le résultat est loin d’être dérangeant. Car, comme on le dit souvent, ce n’est pas le but qui prime, mais le voyage. Et on peut le dire, Marguerite a parcouru un sacré chemin.
Fabien Imhof
Référence :
Le Théorème de Marguerite, réalisé par Anna Novion, France – Suisse, 2023.
Avec Ella Rumpf, Jean-Pierre Darroussin, Clotilde Courau, Julien Frison, Sonia Bonny…
Photos : ©Pyramide Films
[1] Il s’agit d’un des plus vieux problèmes non résolus, qui s’énonce ainsi, sans avoir jusqu’ici été prouvé : Tout nombre entier pair supérieur à 3 peut s’écrire comme la somme de deux nombres premiers.