Les Natures mortes de la Cie Moost se joueront pour la première fois sur un plateau dédié
Dans le cadre d’un partenariat et à quelques jours de la première de Natures mortes au Théâtre du Loup, Fabien Imhof s’est entretenu avec Latifeh Hadji, co-créatrice du spectacle. L’occasion de parler de la transition du foyer au plateau, pour une dimension inédite de cette pièce.
La Pépinière : D’après le résumé, Natures mortes est un spectacle qui ressemble un peu à une fin de soirée, qui est là mais à laquelle personne ne s’intéresse vraiment. À l’origine, il est fait pour être joué dans le foyer du théâtre. D’où est née cette idée ?
Latifeh Hadji : En fait, on ne sait pas trop si c’est une fin de soirée ou si elle n’a jamais vraiment commencé. Cela pourrait être 4 heures du matin, alors que presque tout le monde est parti, comme cela pourrait aussi être une fête ratée où personne n’est jamais venu. Ce qu’on présente à travers Natures mortes, c’est ce qu’on a appelé du « cirque de salon », parce qu’il est faisable dans des petits espaces. Le projet est d’abord né dans le cadre d’un « Midi théâtre ». Certains théâtres proposent, sur la pause de midi, un spectacle et un repas, le tout en une heure, dans leur foyer. L’idée est de pouvoir profiter d’un spectacle durant sa pause repas, manger et repartir travailler. Pour nous, évidemment, cela contraint le dispositif. On trouvait que le défi était intéressant de faire du cirque dans un espace de 4 mètres par 4 mètres, avec peu de hauteur. Habituellement, les arts du cirque sont présentés dans des grands espaces. Il fallait donc pas mal d’inventivité et de créativité pour trouver des aspects circassiens dans un petit volume.
La Pépinière : Autre point intriguant, il s’agit d’un quatuor, ou plutôt d’un trio avec un chien. Pourquoi l’intégrer au spectacle ?
Latifeh Hadji : Koutshik, notre chienne donc, nous accompagne sur nos tournées depuis 10 ans. Quand on répète, au lieu de la laisser en coulisses, elle est toujours présente au plateau, à chaque moment de la création. Elle est là, elle nous regarde en attendant sa promenade. Alors, pour Natures mortes, on a décidé de l’intégrer au spectacle, au lieu de la laisser dans les coulisses. Elle a rapidement trouvé sa place dans la pièce. C’est même elle, au final, la star du spectacle, elle finit par nous voler complètement la vedette.
La Pépinière : Natures mortes mêle théâtre, cirque et dressage canin approximatif. Comment faire de ce joli mélange un spectacle ?
Latifeh Hadji : Le chien, c’est un peu l’esprit libre de ce spectacle. C’est pour cela que le dressage est même très approximatif. Finalement, elle fait un peu ce qu’elle veut. Pour le reste, Camille Denkinger et moi venons au départ du cirque, alors que Marc Oosterhoff vient plutôt de l’univers de la danse et du théâtre. On a toujours voulu que nos spectacles aient cette dimension pluridisciplinaire. Dans nos créations, on s’inspire de nos différentes compétences pour créer des spectacles hybrides. Ce qui nous intéresse vraiment, c’est de pouvoir panacher plusieurs possibilités, sans se cantonner à une discipline.
La Pépinière : Le résumé du spectacle se conclut avec des mots volontairement compliqués. Il est question d’anicroches et de théâtre neurasthénique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Latifeh Hadji : On a toujours aimé cet humour absurde. Dans notre esthétique, on s’inspire pas mal de films nordiques, avec un rythme très lent et complètement décalé. C’est cette dimension absurde qui nous plaît. Par exemple, on aime bien ce que fait Roy Andersson, avec ses couleurs pastel, cette ambiance assez froide et cet humour noir omniprésent. C’est un peu notre inspiration de base. Pour le côté neurasthénique, je crois qu’on apprécie vraiment ce rythme très lent qui ajoute au côté absurde. Le cinéma de Roy Andersson est aussi marquant pour ses plans-séquences qui ressemblent à des tableaux vivants.
La Pépinière : D’où le titre du spectacle, Natures mortes, qui rappelle aussi la peinture ?
Latifeh Hadji : Oui, pour nous, Natures mortes, cela évoque vraiment la peinture. Finalement, on veut montrer que, malgré les apparences, elle n’est pas si morte que ça. Il y a toujours des choses qui ne se passent pas comme prévu, de l’ordre de l’inattendu. C’est un univers qui paraît morne de prime abord, mais finalement il y a beaucoup de choses qui se passent. C’est ce qu’on aime dans l’idée de ce spectacle : tous ces imprévus qui arrivent et donnent vie à ces Natures mortes.
La Pépinière : Le spectacle sera donc bien joué sur le plateau du Théâtre du Loup. Sans rien dévoiler, qu’est-ce que cela implique par rapport au projet de départ qui se joue dans les foyers des théâtres ?
Latifeh Hadji : Pour nous, cela va être une grosse réadaptation. Ce sera très différent au niveau du public, parce qu’on a l’habitude d’une certaine proximité dans les foyers. On joue pour ainsi dire au milieu des spectateur·ice·s. On va donc essayer d’intégrer le public dans le dispositif. Il y aura peut-être du monde sur scène aussi, on ne sait pas encore, comme on n’est pas encore arrivé·e·s au plateau. Surtout, la différence principale par rapport à ce qu’on a l’habitude de faire, c’est qu’on pourra créer des effets de lumière en plus. Dans le foyer, on travaille avec la lumière qu’on a, ce qui est très différent d’un plateau de théâtre. Donc, on va pouvoir peaufiner cet aspect. Comme on va arriver, deux jours avant la première, sur le plateau, on devra travailler sur l’appropriation de l’espace. Quand on a créé Natures mortes, on l’a imaginée comme une pièce tout terrain, qui se jouerait dans des espaces non-dédiés au jeu habituellement. Pour nous, ce sera donc une énième réadaptation et, paradoxalement, la première fois qu’on la jouera sur une scène de théâtre. On avait cette volonté de pouvoir jouer n’importe où, à nous maintenant de relever ce défi !
La Pépinière : Latifeh, merci beaucoup pour cet entretien, on se réjouit de découvrir le passage de Natures mortes au plateau du Théâtre du Loup !
Propos recueillis par Fabien Imhof
Infos pratiques :
Natures mortes, par la Cie Moost, du 12 au 14 février 2025 au Théâtre du Loup.
Mise en scène : Camille Denkinger, Latifeh Hadji et Marc Oosterhoff
Avec Camille Denkinger, Latifeh Hadji et Marc Oosterhoff et la participation canine de Koutshik
https://theatreduloup.ch/spectacle/natures-mortes/
Photos : © David Melendy