Les réverbères : arts vivants

Aller au bout du monde rêvé

Pour celles et ceux qui l’auraient manqué l’année dernière, le Théâtre de Carouge reprogramme, pour notre plus grand plaisir, L’Usage du monde, interprété par Samuel Labarthe et mis en scène par Catherine Schaub, à voir jusqu’au 23 février 2025.

L’invitation au voyage que nous proposent Catherine Schaub et Samuel Labarthe est ambitieuse : adapter au théâtre le récit initiatique de Nicolas Bouvier et de son ami peintre Thierry Vernet, raconter leur périple depuis Genève jusqu’à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan en Fiat Topolino. Ambitieux donc, mais c’est un pari réussi. L’écriture de Nicolas Bouvier est transmise dans toutes ses nuances par Samuel Labarthe, qui assure le seul en scène, où il nous tient en haleine autant qu’il nous transporte. En choisissant avec parcimonie les extraits qui composent l’adaptation, nous avons un condensé, qui n’en paraît pas un, retraçant les grandes étapes du périple, l’amitié des deux voyageurs, l’amour de la musique.

La scénographie, composée de trois écrans en fond de scène, d’un banc et de deux chaises, fonctionne dans sa simplicité. Elle sert à nous donner des repères visuels, pour projeter des archives photos des aventuriers, des vidéos des pays traversés, mais aussi des indicateurs cartographiques bienvenus. Mais le principal intérêt sont les dessins de Thierry Vernet à l’encre de Chine, au style particulier, qui nous figurent les personnes rencontrées, telle que la tenancière d’une pension à Tabriz. L’univers sonore, habité par les enregistrements réalisés par les jeunes voyageurs, nous plonge dans ce langage universel dont on comprend qu’il a été l’un des principaux vecteurs de liens au cours du voyage.

Les réflexions philosophiques pensées par Bouvier sur le voyage ne manquent pas dans cette adaptation. Notamment autour de ce moment de grâce, après avoir rejoint la frontière pakistanaise, fumant un narguilé au soleil, attendant son visa sans empressement à la douane, savourant la lenteur. Il se demande si tout ce voyage n’a pas abouti à ce moment précis de bonheur, un instant pleinement vécu, avant de retourner « remplir ce vide central de l’âme », qu’on a tous et toutes, et qu’on doit apprendre à côtoyer.

Au travers de ce récit initiatique, qui nous offre le voyage dans toute son authenticité, on devine et on envie le moteur, la soif de découvrir qui animait Bouvier et Vernet. Quel était donc ce fioul qui pousse en avant malgré les difficultés ? Et pourtant il y en a sur le chemin, la vie nomade n’étant pas de tout repos. Entre l’hiver, le froid, les maladies, les cols à franchir avec la frêle Topolino, ce sont tous ces aléas, entrecoupés par ces moments de grâce, qui composent l’essence même du voyage. Malgré l’impossibilité pour les spectateur·ice·s d’aujourd’hui d’effectuer le même trajet, le cadeau de L’Usage du monde est de nous ouvrir la porte sur l’autre, et de rêver ce monde disparu.

Léa Crissaud

Infos pratiques :

L’Usage du monde, de Nicolas Bouvier, du 4 au 23 février 2025, au Théâtre de Carouge.

Mise en scène : Catherine Schaub

Avec Samuel Labarthe

https://theatredecarouge.ch/spectacle/lusage-du-monde-2/

Photos : © Émilie Brouchon

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