Les nuits bleues d’Espagne
Un récit des poèmes de Lorca qui couvrent les bruits de la nuit – El Cante Jondo de Federico García Lorca, un spectacle d’Alexandre Païta au Théâtre des Grottes jusqu’au 23 octobre 2022.
El cante jondo – le chant profond – se présente comme la genèse de ce qui deviendra le flamenco. Un chant qui vient du plus profond de l’être où les thèmes de l’amour, de la souffrance et de la mort dominent. On le sent dès l’ouverture du rideau. Il dévoile une scène nue et sévère, éclairée du bleu de la nuit, du blanc de la lune avec seules deux chaises de terrasses fatiguées et râpées par des multiples siestes verticales qui meublent ce qui semble être une rue comme on en trouve dans les romans de García Márquez : vide, sinueuse, terreuse et blanche.
Alexandre Païta interprète García Lorca, l’un des écrivains espagnols qui a su allier l’héritage du folklore, la tradition populaire au romantisme et aux mouvements d’avant-garde des années 1920, laissant une œuvre originale et inclassable.
L’acteur présente les poèmes telle une lecture de chambre en plein air dédiée à ceux qui, lors d’un paseo dulce en début d’une presque fraîche soirée s’arrêtent curieux, surpris d’entendre un artiste à la dérobée. Un de ces moments privilégiés où jaillit la poésie comme par enchantement.
L’homme est assis sur la place, le poème est debout près de la fontaine. Ils sont accompagnés d’une danseuse (Melissa Cascarino) couverte d’une vaste mantille d’un rouge flamboyant. Indolent et vaste costume de scène qui couvre le visage de cette dernière comme un voile de marbre sur une Madone de marbre. Fascinante.
Dans la voix d’Alexandre Païta, on sent l’amour de la terre, de tout ce qui la compose. On savoure la beauté du sens et du langage dans les premières strophes du poème d’ouverture Petite balade des trois rivières où l’on trouve les arbres, le sol que l’on laboure, les orangers, les cloches au loin.
« Pour les bateaux à voiles Séville a un chemin ; mais dans l’eau de Grenade
rament seuls les soupirs. Hélas, amour qui est parti et jamais revenu ! »
Une époque contemporaine de Ramuz avec les espoirs et les désirs des êtres humains, de Pagnol entre rire et émotion provençale, à tous deux García Lorca ajoute la fatalité, cette sève qui coule en Andalousie et qui aide selon le poète à répondre aux interrogations de la vie, à révéler les clés de notre mystère.
Illustrant les poèmes tels que Guitare ou Le Cri, la danse se développe ; aérienne, sculpturale, pliant sous le même vent qui faisait chanter les peupliers de l’enfance de l’auteur. Parfois, une guitare espagnole soutient les récits. On pourrait regretter qu’un musicien n’interprète pas sur scène les partitions de musique. Mais si l’on imagine que ce dernier joue dans la salle d’une taberna voisine, cela rend la nuit mystérieuse.
Dans les récits proposés, revient souvent la lame, le couteau qui semble aussi magique et récurent que les petits poissons dorés du colonel Aureliano Buendía de Cent ans de Solitude. Ici, la souffrance est présente. Une souffrance éloignée de la douleur, car elle lui donne un sens. C’est l’art de García Lorca.
Les œuvres choisies par Alexandre Païta ont reçu dans le silence. Dans une nuit bleue d’Espagne, les textes de Federico García Lorca font taire même les grillons jusqu’à L’Aube.
« Mon pauvre cœur angoissé ressent aux abords du jour la douleur de ses amours et l’illusion des distances. Le clair de l’aurore apporte des graines de nostalgie et la tristesse sans yeux. »
Un spectacle intime, puissant, où les béotiens du genre auraient pu être plus accompagnés sur les rives de cette poésie découverte au coin d’une rue entre Séville et Grenade.
Jacques Sallin
Infos pratiques :
El Cante Jondo, d’après Federico García Lorca, par Alexandre Païta au Théâtre des Grottes du 20 au 23 octobre 2022.
Mise en scène : Alexandre Païta, Melissa Cascarino
Avec Alexandre Païta, Melissa Cascarino
https://compagniealexandrepaita.ch/spectacles/el-cante-jondo-octobre-2022/
Photos : © David Jimenez