Le banc : cinéma

« Get Back » (1/2) : le début de la fin des Beatles

En 1969, Michael Lindsay-Hogg filme les Beatles en pleine répétition pour un spectacle et un nouvel album. 50 ans plus tard, le réalisateur Peter Jackson remonte ces archives pour produire « The Beatles: Get Back », mini-série de 7 h 48 qui porte un regard neuf sur la déchirante fin des Fab Four.

Cela commence par un compte à rebours. Les Beatles ont deux semaines pour écrire et interpréter les 14 chansons qui composeront album et spectacle. En soi, l’enjeu semble déjà difficile, mais deviendra-t-il impossible avec Yoko Ono qui ne lâche pas John Lennon d’une semelle, Paul McCartney qui se prend pour un petit chef autoritaire ou George Harrison de plus en plus frustré de jouer les seconds rôles (Ringo Starr, toujours affable, est fidèle à lui-même) ?

Alors que l’on a tous en tête l’image d’un groupe qui se déchire, Peter Jackson – qui a effectué un véritable travail d’historien avec ces archives – montre une autre facette, plus nuancée, de cette réalité. Ainsi, l’ambiance est bien souvent joyeuse. L’on voit notamment Ringo faire des claquettes ou les Fab Four délirer sur Obladi Oblada, même si Harrison apparaît un peu en retrait. Pour l’heure, il a pourtant son quart d’heure warholien avec l’interprétation par le groupe de All Things Must Pass, qui ne sera pas enregistrée par les Beatles mais donnera son nom à son premier album solo en 1970. C’est là tout l’intérêt historiographique de ce documentaire. Voir le dernier album se faire mais aussi saisir la transition musicale que sera l’immédiat après Beatles pour chacun des quatre membres. Outre Don’t Let Me Down, joué jusqu’à l’écœurement (on a l’impression que les musiciens se raccrochent au titre comme pour dire qu’ils sont encore capables de faire du bon travail ensemble, ou pour repousser d’autant le moment d’interpréter les autres chansons, nettement moins avancées), I’ve Got a Feeling, Two of Us ou encore One After 909, qui se retrouveront sur « Let it Be », l’ultime album des Beatles en 1970, on peut également entendre Son of Nature, qui ne sera pas finalisée par le groupe (parce que le thème était trop proche de Mother Nature’s Son, écrite par McCartney pour le Double blanc) mais que Lennon immortalisera sous le titre de Jealous Guy dans son deuxième album solo, « Imagine », en 1971[1].

Les répétitions n’avancent pas trop, les compositions piétinent mais les enregistrements nous permettent d’appréhender les Beatles dans ce qu’ils font de mieux. De la musique. Si les Rolling Stones sont un groupe de reprises de blues (dixit McCartney dans le New Yorker du 18 octobre 2021), les Beatles sont un groupe de rock’n’roll. Il suffit de les voir jouer Johnny B. Goode, Stand by Me (que Lennon gravera sur le bien-nommé « Rock’n’roll » en 1975), What Do You Want to Make Those Eyes at Me For, revisiter le blues de Big Joe Turner Honey Hush, Suzy Parker… L’ensemble offre un melting-pot roboratif qui n’est pas sans rappeler les enregistrements sonores de « Anthology », la série de bootlegs parue dans les années 90, mais avec l’image, ce qui change tout.

À l’heure de finir une aventure de quelques dix années, les Beatles revisitent leurs origines musicales mais aussi leur propre discographie. Ainsi, le documentaire est l’occasion d’entendre des chansons du tout début du groupe, jamais enregistrées car jugées trop simplistes : Just Fun, Because I Know You Love Me So, Thinking of Linking, Won’t You Please Say Goodbye, One After 909 [2]

Le feu couve sous la marmite

Alors que seul le travail sur Don’t Let Me Down est développé, à deux semaines des concerts, avec des enjeux financiers énormes, on pourrait croire que le stress et la pression créeraient une ambiance à couper au couteau mais pas du tout, elle reste détendue, presque désinvolte. « On est quel jour ? demande Paul. – Le 6, répond George. Il nous reste 12 jours. – On n’a pas fait grand-chose », renchérit Paul. Et George de conclure : « On n’en a fait que quatre, et on n’en n’a étudié encore aucune ».

Les tensions, car il y en a, sont internes et se concentrent essentiellement sur Paul et George, ce dernier ne supportant plus d’être sous-estimé par son aîné, alors qu’avec John c’est étonnamment beaucoup plus fluide. Mais même quand les problèmes s’accumulent, le génie n’est jamais loin. Ainsi, on voit Paul jouer pour la première fois ce qui deviendra le prochain single du groupe, Get Back, merveille d’efficacité musicale, d’humour textuel et d’engagement[3]. Nous sommes en 1969, pas en 1962. La formation n’a plus l’insouciance de ses débuts (She Loves You, I Want To Hold Your Hand…), c’est à présent un groupe en quête de sens. Depuis la mort de leur manager Brian Epstein en 1967, les membres ne veulent pas seulement faire, mais savoir pourquoi. « Il faut qu’on sache pourquoi le faire (le concert) sinon on ne le fera pas » résume ainsi l’un d’entre eux.

Le documentaire de Peter Jackson n’a rien à voir avec le « 1 + 1 » de Godard, qui détaillait l’accouchement de Sympathy for the Devil, le chef-d’œuvre des Stones ; ici, à l’exception de Don’t Let Me Down, jouée maintes fois mais sans évolution, de manière plutôt aboutie (malgré la version avec des cris de Yoko Ono !) et Get Back, où l’on voit les musiciens, instruments en main, travailler les arrangements, on a droit à un patchwork : des chansons (Maxwell Silver Hammer, Across the Universe, For You Blue, She Came in Through the Backroom Window…), des curiosités (Let it Be en yaourt parce que Paul n’a pas encore finalisé les paroles), des moments de vie (John et Yoko qui valsent sur I Me Mine, la composition que George a écrite la veille) et des discussions interminables sur ce qu’il faut (ou ne faut pas) faire : un concert à Sabratha (Libye) ou sur le toit de leur maison de disque londonienne ?

Pourtant, après la tension des débuts, au bout de six jours on a l’impression que seul compte l’envie d’être ensemble et de jouer. Lennon, qui semblait quelque peu éteint, fait le clown face caméra, imitant Paul en playback chantant Let it Be quand un coup de tonnerre retentit : George quitte le groupe !

Bertrand Durovray

Suite de cette critique par ICI !

Référence : « The Beatles: Get Back », documentaire musical en trois parties de Peter Jackson d’après les archives de Michael Lindsay-Hogg filmées en 1969. Avec John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr. Durée totale : 7 h 48. 2021.

Photos : © DR

[1] Ce sera aussi le cas de Gimme Some Truth, débutée du temps des Beatles, qui finira sur ce même album solo.

[2] Écrite par un tout jeune John Lennon de 15 ans, en 1955, et enregistrée sur l’album « Let It Be ».

[3] Ce qui est atypique pour les Beatles. Paul l’écrit en réponse aux manifestations anti-immigrations que connaît l’Angleterre à cette époque.

Bertrand Durovray

Diplômé en Journalisme et en Littérature moderne et comparée, il a occupé différents postes à responsabilités dans des médias transfrontaliers. Amoureux éperdu de culture (littérature, cinéma, musique), il entend partager ses passions et ses aversions avec les lecteurs de La Pépinière.

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