Le banc : cinéma

« Get Back » (2/2) : une fin au sommet

En janvier 1969, le projet « Get Back » a filmé les Beatles travaillant les chansons de leur futur album. Après une semaine de répétitions, George Harrison, mécontent du rôle qui lui est assigné, quitte le groupe. Serait-ce la fin des Beatles ? En reprenant les 150 heures d’archives audio laissées à l’époque par Michael Lindsay-Hogg, Peter Jackson rend le suspense de la fin du groupe digne d’un thriller hitchcockien…

Avec le départ de George, l’avenir du projet de film documentaire et des Beatles est en jeu. On sent comme un basculement dans l’ambiance globalement bon enfant du premier épisode. Paul : « Ce sera une drôle d’histoire, dans 50 ans, quand on se sera séparés parce que Yoko s’asseyait sur un ampli ». Cinquante et quelques années plus tard, ce n’est pas drôle du tout mais éloquent. Les Beatles parlent (les présents tout du moins). La fin du groupe est abordée[1]. Paul a les larmes aux yeux. Une sorte d’attente inconfortable s’installe. Que faire pour tromper l’angoisse ? Jouer. Alors, ils répètent : travail sur la composition des couplets de Get Back, The Back Seat of my Car (la composition du jour de McCartney) tandis que l’acteur Peter Sellers vient dire bonjour…

Puis les événements se débloquent. Une réunion constructive a lieu avec George Harrison. Le groupe décide d’annuler son projet d’émission télé et d’enregistrer l’album dans sa maison de disques, Apple records. Adieu l’immense studio, froid et vide, de Twickenham, bonjour rue Savile Row, à Londres. Étonnamment, ce changement sera salutaire. À Apple, les Beatles sont chez eux (dans tous les sens du terme). L’annulation de l’émission semble de plus leur avoir enlevé un poids. On parle à présent d’enregistrer l’album en direct, sans coupure, peut-être même de faire un concert. Enfin, l’arrivée impromptue de Billy Preston va à ce point revigorer les Fab Four qu’ils lui proposent de rester. Voilà Billy propulsé pianiste des Beatles !

« J’écris des chansons qui parlent de murs blancs parce que j’espère que cela plaira à John et à Yoko, mais c’est faux. » (Paul)

Au bout de deux semaines de répétitions, l’ambiance est de nouveau au beau fixe. George est revenu, l’émission-test annulée, Billy Preston cimente le groupe, les chansons avancent… le travail sur Get Back porte ses fruits, Her Majesty est interprétée avec un ukulélé électrique au bottleneck en position hawaïenne (l’instrument est à plat sur les genoux et John fait glisser un cylindre sur les cordes afin de produire un son métallique), George s’investit enfin. Le plaisir de jouer ensemble est bien présent, à mille lieues de l’image crépusculaire que l’histoire avait retenue.

Pourtant, entre les souvenirs de leur retraite spirituelle en Inde (où nombre de chansons finalisées ici ont été ébauchées) et un concert à Primrose Hill qui n’est plus possible, les Beatles se cherchent encore et ne sont plus à l’unisson[2]. John voulait jouer sur scène, Paul et George pas tellement. L’idée, c’était un album et un concert, sans ce dernier le projet ne fait plus guère de sens… à moins d’enregistrer l’album en live face caméra comme s’il était retransmis… or, cela pose problème à l’ingénieur du son par rapport aux changements de balance entre les titres. Bref, entre l’envie de ne pas se répéter, des intérêts personnels divergents et les difficultés techniques, le projet est de nouveau en attente. Mais enregistrer tous ensemble dans une même pièce, en soi c’est nouveau pour les Beatles, et le documentaire fera office d’émission télé puisqu’il immortalise ce processus. McCartney a le blues : dénicher un autre lieu de concert en quelques jours est mission impossible. Le documentaire était prévu pour la télévision, la qualité de la pellicule est insuffisante pour un film documentaire de cinéma. L’idée, trouvée par les techniciens et qui ravit Paul, serait de chercher un lieu beaucoup plus pratique pour organiser ce concert… pourquoi pas sur le toit de leur studio Apple ?

Retour sur « Get Back »

L’enthousiasme de John et George a raison des réticences de Paul et Ringo et un concert sur le toit d’Apple est prévu pour le mercredi 29 janvier (il sera finalement repoussé au 30 pour des raisons météorologiques). Mais, c’est dans quatre jours ! Pour l’heure, on entend les toutes premières notes de ce qui deviendra Octopussy’s Garden, Paul et John dansent sur Blue Suede Shoes… On ne se croirait pas à quelques jours du premier concert des Beatles depuis trois ans !

Finalement, le concert arrive. Le dispositif est impressionnant, avec 10 caméras (cinq sur le toit, une sur l’immeuble d’en face, trois pour filmer les réactions dans la rue et une caméra dans le hall de l’immeuble) qui offrent une vision globale de l’événement ; le montage de Jackson permettant d’en saisir toute l’ampleur.

Ainsi, deux Beatles arrivent en manteau de fourrure (imperméable rouge pour Ringo et veste de costume pour Paul). Billy est là au piano, le show peut commencer : Get Back, Don’t Let Me Down, I’ve Got a Feeling, One After 909, Dig a Pony[3].

Le son est très rock’n’roll. Dans la rue, les passants s’arrêtent, lèvent la tête. Étonnamment, ils ne sont pas surpris, comme s’il allait de soi que les Beatles fassent un concert sur le toit de leur immeuble, ou plutôt comme si rien n’était étonnant avec un tel groupe. Tout le monde reconnaît les Fab Four (certains distinguent même le chant de Paul de celui de John), alors que depuis la rue on ne peut guère les voir et qu’ils jouent des chansons encore complètement inconnues…

Évidemment, certains désapprouvent (même s’ils sont loin d’être majoritaires). Tout comme la police. La caméra cachée dans l’entrée du bâtiment offre ainsi une savoureuse séquence :

Policier : On peut vous parler ? Nous n’apprécions pas ça. Le bruit que vous faites dans la rue. On a reçu 30 plaintes en une demi-heure. Ça doit cesser. C’est une atteinte à l’ordre public. C’est passible d’arrestation. Vous pouvez baisser ?
Glyn Johns (l’ingénieur du son) : Ils jouent quelques chansons, c’est tout. Ils devraient avoir fini…
Policier : Mais pourquoi devez-vous transmettre dans la rue ?
Glyn : Ils enregistrent un album.
Policier : Si vous voulez un conseil, baissez où je commence à arrêter des gens. Je ne veux pas, mais voilà. Ça doit cesser. Ça trouble l’ordre public.

« Get Back » est définitivement rock’n’roll. Point d’orgue du documentaire, le concert sur le toit sera aussi la dernière prestation publique des Beatles.

Bertrand Durovray

 

Référence : « The Beatles: Get Back », documentaire musical en trois parties de Peter Jackson d’après les archives de Michael Lindsay-Hogg filmées en 1969. Avec John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr. Durée totale : 7 h 48. 2021.

Photos : © DR

[1] George l’évoquera également auprès de John : « J’ai tellement de chansons que mon quota pour les dix prochaines années où les dix prochains albums est déjà atteint. Ce serait bien de faire des choses séparément… »

[2] Cela se voit même physiquement. La coupe au bol pour tous et les mêmes costumes élégants des débuts constituent véritablement une autre époque. En 1969, Paul est bouffi sous sa barbe, John prend l’air de plus en plus christique de ses débuts en solo (lors des bed in), George s’émancipe enfin (nœud papillon clipable et guitare fleurie) et Ringo, fidèle à lui-même, est toujours aussi sympa même si l’on sent déjà poindre quelques ravages alcooliques.

[3] Ce sont les prises de ces chansons qui ont été retenue pour l’album « Let it Be ».

Bertrand Durovray

Diplômé en Journalisme et en Littérature moderne et comparée, il a occupé différents postes à responsabilités dans des médias transfrontaliers. Amoureux éperdu de culture (littérature, cinéma, musique), il entend partager ses passions et ses aversions avec les lecteurs de La Pépinière.

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