Les réverbères : arts vivants

Éveil/Printemps : (re)moderniser la Modernité

Lorsque Frank Wedekind écrit L’éveil du printemps en 1891, il choque tant que la pièce sera censurée pendant 16 ans. En guise d’ouverture de saison au POCHE/GVE, Mathieu Bertholet s’en est emparé pour l’adapter au goût du jour, dans une mise en scène résolument pop. Éveil/Printemps, c’était à voir jusqu’au 23 octobre dernier.

Dans une société excessivement rigide et fermée à tout écart, un groupe d’adolescent·e·s évolue en étant candidat à tous les excès. L’attrait de l’interdit, on l’a toutes et tous connu. Et pour cause : le propos d’Éveil/Printemps se tient à la fin du XIXe siècle. Autant dire que les mœurs étaient bien différentes d’aujourd’hui… Cette pièce a marqué pour ainsi dire le début de la Modernité au théâtre : une période où l’on a commencé à montrer quelques outrages sur les scènes européennes. Il faut bien le dire, tout y est exploré : sexe, violence, échec scolaire, jusqu’aux conséquences les plus désastreuses et inattendues pour cette jeunesse qui se cherche. Un spectacle qui fait un bel écho à l’éducation d’aujourd’hui, ainsi qu’à Trigger Warning, et certaines thématiques communes, dans un texte totalement contemporain…

Une mise en scène résolument pop

La scénographie est la même que pour Trigger Warning : de grandes marches blanches, les micros en moins. Ici, ce qui marque le plus lorsque les personnages descendent du plafond où iels étaient caché·e·s, ce sont leurs costumes. Si quelques éléments évoquent l’époque – chapeau, bottines, robes… – on retrouve également des aspects punk, façon années 70, comme la jupe à carreaux de Wendla. Un joli moyen de marquer la rébellion de ces adolescent·e·s face à une société trop cadrante à leur goût. Évoquons aussi la combinaison serrée que toutes et tous portent sous leurs vêtements : une tenue couleur chair qui évoque la nudité, omniprésente dans ce spectacle. En y ajoutant les mouvements lascifs des comédien·ne·s lors des moments de transition, on comprend rapidement le but ce ces jeunes personnages : transgresser les tabous. Mais, car il y un mais, tout ne se fait pas sans douleur. Pour preuve les taches colorées qui ornent les costumes, ainsi que le maquillage qui coule ou le rouge à lèvres mal mis… Voilà un indicateur d’une certaine forme de maltraitance, ou du moins de souffrance, un marqueur du malaise de ces adolescent·e·s, mais aussi de leurs parents, qui ne savent trop comment faire face.

Pour le côté pop, on évoquera encore la musique lors des transitions entre les scènes, avec des morceaux bien connus revus par Billie Bird, dans un univers doucereux, lancinant, presque lascif : L’école est finie de Sheila, qu’on aura rarement entendu de manière si mélancolique, ou encore la Positive attitude de Lorie, sur un air qui n’a rien de véritablement positif. Sur ces airs, on observe les comédien·ne·s adopter des positions et mouvements suggestifs, comme pour marquer une forme d’hypersexualisation, qui ne tombe pour autant jamais dans le vulgaire.

Rire pour ne pas pleurer

Le sous-titre de la pièce indique « une tragédie d’enfants ». Voilà qui résume bien leur destin. Pour autant, et c’est une belle surprise, on rit énormément pendant le spectacle. On citera par exemple la scène de l’éducation sexuelle où la mère de Wendla tente de lui expliquer qu’on ne peut tomber enceinte que si l’on est marié – décidément les mœurs de l’époque… – ou encore cette scène du conseil d’école suite à un écrit jugé obscène, où le recteur Coup-de-Soleil, joué par Jérôme Denis, ne parvient pas à remonter sur son estrade. Des essais infructueux durant cinq bonnes minutes qui ne sont pas sans rappeler un humour à la Charlie Chaplin ou Laurel et Hardy… On pourrait encore signaler la transition sur La positive attitude, où Wendla découvre son corps et se caresse lascivement tout en chantant les paroles légères de Lorie en poussant de temps à autre un petit cri incontrôlé. ¨

Ces moments d’apparente légèreté nous conduisent ainsi à mieux digérer un propos pourtant violent et difficile à encaisser, de prime abord. Car, on peut le dire, tout finira mal dans ce spectacle… Le rire permet de désamorcer et de prendre de la distance sur le fond de la pièce, et d’aborder ainsi une réflexion plus profonde sur les parallèles entre ce qui nous est raconté et certaines dérives d’aujourd’hui. Des dérives que l’on retrouve d’ailleurs dans Trigger Warning, qui était jouée en parallèle. Et de nous questionner, aussi, sur l’éducation à donner pour les éviter, en nous laissant sur ce qui peut être considéré comme l’hymne de ce spectacle, Adieu de Rammstein. On vous laisse savourer.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Éveil/Printemps, de Frank Wedekind, adaptation et traduction de Mathieu Bertholet, du 26 septembre au 23 octobre 2022 au POCHE/GVE.

Mise en scène : Mathieu Bertholet

Avec Bénédicte Amsler Denogent, Jérôme Denis, Aurélien Gschwind, Zacharie Jourdain, Aline Papin et Louka Petit-Taborelli

https://poche—gve.ch/spectacle/eveil-printemps

Photos : © Dorothée Thébert

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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