Le banc : cinéma

« Les tomates des Français sont les meilleures » – Villageoise galicienne

Un couple français s’installe dans un village en Galice, nord-ouest de l’Espagne. Leur rêve écolo-bucolique est traversé de confrontations avec leurs voisins. Drame social qui se finit en thriller à la true crime, co-écrit par Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen, As Bestas ne vous laissera pas indifférents.

Nous sommes en Galice, au nord-ouest de l’Espagne. Un couple français est venu s’installer dans un petit village dépeuplé.Ils y vivent leur rêve écolo : loin de la grande ville, ils maintiennent un jardin potager et vendent leurs légumes au marché le dimanche.

Le scénario d’Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen se concentre sur la vie du village. Un territoire propice à l’élégie bucolique de la vie rurale.

Cependant, quelque chose cloche dans cette idylle, on s’en rend compte dès les premières minutes du film. Ici tout est tendu, inquiétant. Quelques-uns des voisins du village sont ouvertement hostiles à l’encontre d’Antoine (Denis Ménochet). Mais pourquoi ?

Un problème Quichottesque

En effet, les voisins en veulent à Antoine et Olga (Marina Foïs) de s’opposer à un projet qui leur ramènerait de l’argent « facile » : une compagnie éolienne veut la déqualification du lieu pour y bâtir des moulins. Ces nouveaux venus s’y opposent et militent pour la restauration des vieilles maisons en pierre du village, dans l’espoir qu’un bâti moins délabré attirera à nouveau des gens. Plus précisément : les voisins du village qui sont à faveur de ces modernes moulins restent appauvris. Et en plus de ça, ce couple d’étrangers veut gentrifier leur village. Il s’agissait pourtant d’une occasion unique de faire de l’argent facile pour ces gens, fatigués d’une vie de labeur agricole et irrités par ces étrangers hautains qui leur expliquent l’existence dans les champs.

Dans un milieu aussi renfermé, c’est carton rouge derechef pour les Français.

Les rêves d’une vie rurale paisible se heurtent au conservatisme et au chauvinisme provinciaux, au désenchantement et à l’individualisme. La vie du couple finit par devenir un conflit tendu et constant, surtout avec leurs voisins : les frères Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anido). Dans le bar du village, un duel dialectique se perpétue, avec les moqueries sarcastiques et la menace sinistre des frères contre Antoine. Curieusement, ils ne le respectent que lorsquesa femme est présente comme témoin, par exemple quand se croisent en voiture dans une route tortueuse que Xan et Lorenzo ont bloquée, sachant qu’Antoine doit y passerait forcément pour rentrer chez lui. Une démonstration de force ; la menace devient physique, l’étau se resserre sur Antoine…

Les actuations de ce trio donnent des frissons. Chaque scène révèle la violence à peine retenue, chaque geste frôle la ligne entre contrôle de soi et la perte de la raison.

Ambiance oppressive, claustrophobie en plein air

Dès les premiers plans de chevaux, filmés au téléobjectif extrême et au ralenti, le film s’impose comme une expérience à part. La musique d’Olivier Arson est fantastique, basée principalement sur des souffles dissonants et des percussions, rajoutant une couche à l’ambiance oppressive de l’image.

Bien que toute l’action se passe dans les vertes plaines de Galice, l’air est vicié, le ciel couleur de plomb pèse sur les vies de ces personnages. Un rayon de soleil ramène l’espoir, mais ce n’est qu’une très brève scène : Olga et Antoine profitent du beau temps et se baignent dans la rivière, partageant un moment d’intimité si tendre, qu’on ne peut s’empêcher de les comparer à des jeunes adolescents qui vivent leur rêve de jeunesse. Antoine embrasse Olga, et il repart nager. Peut-être est-ce une scène symbolique : une dernière opportunité pour prendre de l’air, car l’histoire plonge dans l’obscurité totale tout de suite après.

True Crime, version Galicia

Vers la moitié du film, l’histoire recommence pratiquement à zéro, acquérant une qualité de flic et changeant de protagoniste. Tout le poids de l’action revient sur Olga, interprétée magnifiquement par Marina Foïs, qui donne vie à ce personnage à la volonté de fer et représente la résilience de cette femme qu’aucune force extérieure ne va dévier de sa voie. Harcèlement de son entourage ou pas, elle reste à son poste. Même sa fille (Marie Colomb), qui veut la ramener en ville avec elle, n’y parviendra pas. Prisonnière de son passé, isolée dans un village… Voici encore cette sensation d’oppression. En sera-t-elle libérée ?

Fini le film, finie l’angoisse ?

As Bestas est un film sur la peur et la rancœur, et sur les haines nationalistes que l’on croirait mortes mais qui resurgissent pourtant aux moments les plus insoupçonnés. Voilà un film pas commode, qui laisse dans l’esprit une trace de malaise qui perdure pendant plusieurs jours. Mais n’est-ce pas là le rôle d’un bon film : relever des questions pour lesquelles on est obligés de réfléchir à une réponse pendant des jours ?

Alicia del Barrio

Référence :

As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, avec Denis Ménochet, Marina Foïs, Luis Zahera, Diego Anido et Marie Colomb, Espagne/France, 2022.

Photo : © DR

Alicia del Barrio Montañés

Thésarde qui cherche à s'évader de son laboratoire, lectrice avide et grande admiratrice de l'offre culturelle genevoise. Un mix triomphant qui a poussé Alicia à écrire sur ses découvertes cinématiques et théâtrales !

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