La plume : BA7La plume : créationLa plume : littérature

Autoportrait : Arborescence

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Benoît Aubry qui s’amuse avec les mots… pour en donner des définitions aussi personnelles que poétiques. Merci à lui ! Et bonne lecture !

* * *

Arborescence

Morricone :

Paradoxe peut-être, que ce nom de mort latine qui fait naître pourtant l’émotion dans les cœurs. Ennio, combien d’épaules tends-tu, dans les trains, dans les chambres, dans les salles de bain, dans les champs où se perd le promeneur déprimé ?

Musique, Musique d’une fin de jour, qui fait frémir les blés et chuchote à l’oreille… Musique soliloque, venue d’un homme qui parle à l’Homme. Musique de ceux qui sont morts seuls au monde, morts comme ils ont vécu. Musique de vie simple et goûteuse, de détails de toujours qui font parfois pleurer : un vieux qui coupe son pain avec tant de bonheur, un coucher de soleil qui rosit le Mont Blanc, les yeux heureux d’un chien qui attendait son maître, et s’affaler chez soi avec toute sa fatigue, dans son vieux canapé, pour virer ses godasses et souffler pour de bon.

Morricone le dit, à grands coups de violons : quelques mots, sous vos yeux, tous forgés dans ses sons.

Musique : envie d’écrire, envie d’aimer.

Et des roses dans la glotte.

Roses :

Elles attirent mon regard, peu importe le lieu, sur leur robe à l’envers taillée dans la nature ; et ces velours de sang, qui éclosent partout, explosent et contaminent la pureté des plumes :

Mignonne, allons voir si la rose…

          On veut toujours les voir, tiens ! Dressées comme des murailles dans un maelström rouge, que sont en vérité ces pétales de rubis ? Des éclats de l’amour qu’on a laissé derrière, des petits bouts de cœur qu’on voulait partager, qu’on voudrait bien reprendre pour se dédommager ?

C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.

          Quand ? Quand en a-t-on offertes pour la toute dernière fois ? Cela fait si longtemps… Trop ? On aurait pu, pourtant. Aurait-on peur qu’elles fanent, ou cela flétrit-il, dans ce corset de chair ?

Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde.

 Faut-il offrir des roses pour exprimer l’amour… ou ressentir l’amour pour mieux offrir les roses ? On ne l’a jamais su. Elles sont belles… à la ceinture des anges comme au doigt des sorcières.

Et puis merde, pourquoi les « roses » sont-elles rouges ? Comment tu veux comprendre.

Cornebidouille :

A la source même de nos rivières, les eaux stagnantes de notre enfance se couchent souvent au cœur de l’imagination. Le premier livre a laissé pour moi un parfum qui m’est resté.

Grossier bouquin pour bambins en bas âge, Cornebidouille conte l’histoire de la sorcière éponyme. Difforme, laide et tout autant exécrable, elle menace d’effrayer les enfants réticents à avaler leur soupe. Mais son hégémonie va cesser lors de sa rencontre avec un gamin réfractaire aux voies de la terreur…

Objectivement mauvais, Cornebidouille a pourtant gravé en moi une indélébile empreinte. Cette débile crainte de l’intruse au gros nez, aux poils drus et au corps gigantesque, a peut-être influé sur mes inspirations, cauchemars et désirs.

J’ai rêvé bien plus jeune d’oniriques enlèvements. Ma mère aux griffes d’une sorcière, qui buvait cul sec sa décoction maudite. Longtemps…. Ce même songe. Et maintenant, des cauchemars-cancers, où la maladie ronge. Et la terreur sourde du matin ; puis le soulagement.

Et sous les peurs du gosse, les flacons du désir, cachés dans les prunelles à la douceur espiègle, des silhouettes noires à l’orée d’autres rêves ! Dans leurs longs cheveux bruns vient s’échouer mon regard, caravelle fantôme qui dévale les boucles.

Caravelles :

Regardez, ces montagnes de bois qui chevauchent les mers, dans le craquement des planches et la plainte des clous ! C’est le triomphe des sciences sur le monde inconnu.

Caravelles, Caravelles… Se pressent au bastingage les vainqueurs du typhus, dans leur prison marine, aux barreaux madriers, aux murs de palissandre !

Caravelles, Caravelles ! Caravanes zélées surplombant l’Atlantide, dont le vent se veut roues et s’invente mécène, battant les goémons de sa langue d’ailleurs !

De leurs ailes de lin se jettent vers l’horizon, et viennent marier les hommes au goût des découvertes ! L’astrolabe les guide vers la mort des mystères.

Sentinelle :

          Sentinelle rends-moi l’imaginaire d’antan, de ces siècles d’avant où l’inconnu régnait ; partout comme un brouillard, il enfumait le monde d’alléchantes effluves.

          Dans les vieux papyrus, le cheval-éléphant ; la licorne buvait dans des sources d’argent ; dans les blancs de nos cartes, il y avait des dragons.

          Sentinelle qui grave, au temps de l’omniscience, les rêveries des hommes et les sucres du cœur ; sentinelle fragile, sur les sombres sentiers, tu permets à l’humain de laisser dans ses traces des cailloux de lettrines indiquant son chemin. Petit-poucet de l’Art et de l’Histoire aussi : Écriture !

Et tu veilles dans la nuit, au feu des candélabres, à la préservation des tâtonnements humains ; et tu veilles à coucher leurs affabulations, interchangeant l’Espoir, et l’Histoire, et le Mythe établi ; et la licorne meurt pour une autre licorne, merveilleuse irréelle : licorne-métaphore…

Pour rêver aux ailleurs, il me reste la Lune.

Lune :

Lune croissant d’argent, Lune ronde fromage, Lune nouvelle ou pleine, comme le ventre d’une femme, Lumière des soirs d’été, Lueur des nuits d’hiver, Lune des romans et des baisers volés, Lune douleur, striée par les regrets des hommes au cœur brisé, Lune étreinte de ceux qui rentrent seuls chez eux, Lune couette qui couve les lits des éperdus, Lune célébration de  bruyants carnavals, Lune décontenancée des fêtards endormis, Lucide amie des gars aux mains faites par le fer, loin des jeux de l’esprit, Lune Hécate des cabales qui lui dédient leurs corps, Lune pâle trismégiste des auteurs de la nuit, qui embrasse les plumes et le cuir des ouvrages, Lune borgésienne, baudelairienne ou de Musset, Lune mousse grisâtre sur la roche abyssale, Lune hurleuse des loups, sauvage des lycanthropes, secrète du change-forme, Lune runique des druides dans leurs cercles de pierres, Lunatique déité de la jungle des peuples, Une antique déesse aux flèches malheureuses, Artémis consolant les Μαῖα effondrées, Lune voleuse d’enfants s’égarant dans le noir, Lune vieux météore reflété sur les flots,  Lune mère des marées, Lune phare des jardins, Lune veilleuse du monde, Lune des jalousies et des cupidités, des remords et souffrances, témoin des innocents et complice des coupables, Lune horreur de l’aurore, qui repart se cacher sous le drap de l’azur, comme une enfant punie, Lune morte du jour ou bien seule oubliée, Lune esseulée dès l’aube dans son univers d’ombres, retranchée tout là-haut pour songer loin de tout, dans son cirque étranger à la normalité, Lune à jamais bizarre et si bien dans sa tête : Lunaire…

Confiteor, confiture de météores discrètement passée de soutane en soutane.

Soutane / Tissu de ceux passant sous la tangente.

Tangente | Torture psychologique destinée aux étudiants qui détestent les maths. Laisse des séquelles (• • • — — — • • •).

Etudiant : Livre en cours d’écriture, qui a ouvert ses pages pour stocker du savoir – et donner des sourires.

Benoît Aubry

Photo : ©Benoît Aubry

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