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Les Faiseuses d’Anges

« Le pus s’écoulait, l’odeur devenait âcre : le petit être ne vivait pas. Prévoyante, elle emplit son poing d’eau bénite et l’introduisit sans ménagement dans le vagin de la femme qui souffrait tant qu’elle ne remarqua rien. Lorsqu’elle sentit le crâne du bébé, elle ouvrit sa main et dit : ‘Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.’ » (p. 20).

Récit. 1880, plongé-e-x-s dans un Valais où la religion méprise et terrifie par ses jeux de pouvoir, nous suivons Marie-Ange, une de celles qui aident et soignent avec sororité dans l’ombre des secrets. Elle avorte avec les moyens du bord ces « [v]ictimes d’un séducteur, violées par un inconnu ou forcées par leur mari et simplement épuisées par les grossesses successives, [qui] venaient supplier là où elles savaient qu’elles seraient bien reçues » (p. 16). Comme ses ancêtres, elle est qualifiée de « sorcière », brave les interdits et confronte les tabous les plus répugnants, au risque de violentes, voire mortelles, répressions.

« Marie-Ange […] était toujours disponible pour aider les souffrants, les accouchées et les vieux. C’est ainsi qu’elle gagnait sa place dans une communauté où une femme, sans la protection d’un père ou d’un mari, était fragile. » (p. 15).

Les premières pages de L’Éventreuse, quatrième ouvrage de la collection « Gore des Alpes » paru en 2020, font la promesse d’un livre au ton cru, qui ne craint pas de coucher sur le papier la violence du patriarcat. En lisant l’ouvrage, il ne faut pas s’attendre à du sens figuré ; malgré des rebonds fantastiques, la description au plus proche des faits attire parfois des frissons de dégoût. La promesse est tenue et la lecture devient frénésie. Stéphanie Glassey prend ses lecteur-ice-x-s par la main et invite à la curiosité morbide. Mais ce qui en ressort est pure empathie pour ces femmes qui ont vécu des souffrances innommables, pour ces enfants trahis et abusés, pour ces cadavres de bébés non désirés. Celles et ceux-ci trouvent dans L’Éventreuse un livre témoignant de leurs vies d’invisibles étouffés par l’autorité masculine. Les guérisseuses, accusées d’être instruments du diable, redeviennent gardiennes de secrets et profonds soutiens qui font quotidiennement face à l’abject. Ces thématiques, féminines et féministes, ne sont pas étrangères à Stéphanie Glassey, qui dans Confidences assassines (Plaisir de lire, 2019), traitait déjà de la condition des femmes dans le Valais du début du XXe siècle.

La blessure infectée d’un temps passé sous silence est drainée par des mots tranchants. L’autrice expose des faits qui écœurent, choquent et révulsent, mais qui ont, pourtant, été terriblement vrais dans nos paysages Suisses à l’image immaculée.

Morgane Peter

Références :

Stéphanie Glassey, L’Éventreuse, Gore des Alpes, 2020, 124 p.

Photo : © Morgane Peter (couverture : © Gore des Alpes)

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