La plume : critiqueLa plume : littérature

« L’homme est un loup pour l’homme »

« Le loup est une facette de l’homme. Il est son ombre. J’aime ses contradictions, sa soumission au groupe, l’attachement à sa meute et son antinomique soif de liberté. Il est capable d’un amour démesuré. Sa volonté est sans comparaison. Il n’hésite pas à tout bousculer pour atteindre son but, et sa beauté n’a pour égale que sa voracité. » (p. 85)

Cette citation pourrait s’appliquer tout aussi bien à l’humain. Et pour cause : dans Les loups sont entrés dans Paris, Ferdinand Barrett raconte l’improbable transformation d’hommes et de femmes en animaux. Après qu’un loup a été aperçu dans la capitale, le lieutenant de louveterie est appelé en renfort afin de l’abattre. Bien vite, les animaux commencent à pulluler, rejoints rapidement par des sangliers et autres hyènes. Le commissaire Axel Némès-Ressac, aidé par Elvire Clary, une spécialiste des loups, tente de comprendre ce phénomène, dont s’empare bientôt le pouvoir politique en vue des prochaines élections, le qualifiant sans vraiment se renseigner d’« épidémie ». Cette fable métaphorique fait étrangement écho à la société d’aujourd’hui, entre stigmatisation de certaines personnes, port du masque obligatoire et montée des extrémismes. Et l’on ne peut s’empêcher de penser à la chanson de Serge Reggiani, à laquelle le titre de ce roman fait référence : la présence d’un personnage nommé Elvire, la peur de cet inconnu qui envahit les rues (l’Allemand évoqué par la chanson, le véritable loup ici)… Sans oublier que cette chanson est devenue une forme d’hymne anti-fasciste. La montée de l’extrémisme dont il est question dans le roman y fait dès lors sans aucun doute allusion. Tout cela en pleine élection présidentielle en France : on ne pouvait pas mieux tomber !

« C’était son combat : la raison face à l’absurde. Expliquer, comprendre, toujours à la recherche de la vérité. Les faits, rien que les faits pour expliquer le monde, et faire ainsi disparaître croyances et affabulations. » (p. 33)

Abandonnée – croit-elle – par sa famille alors qu’elle n’était qu’un nourrisson, Elvire a été élevée par des loups avant d’être rejetée par cette communauté et de retrouver la société humaine. Dès lors, elle s’est intéressée à cet animal et à toutes ses facettes, si proches de l’Homme. À l’entrée de son bureau trône cette inscription : « Îlot de rationalité, personne absurde ou loufoque s’abstenir. » C’est qu’Elvire et Axel semblent, de prime abord, être les seul·e·s à tenir la route dans ce Paris imaginaire où tout part à vau-l’eau. Les deux protagonistes tentent à la fois de comprendre d’où vient la transformation des êtres humains en bêtes et d’éviter toute la désinformation diffusée dans les médias.

Car c’est aussi de cela qu’il est question dans le roman de Ferdinand Barrett : les réponses apportées par les pouvoirs en place face à un phénomène qui nous dépasse. Qu’on se le dise : l’auteur n’épargne personne, si bien qu’on ne sait plus sur qui compter ni à quel saint se vouer. Les ministres sont ainsi décrits comme des enfants qui jouent à la politique plutôt que d’en faire, les débats s’apparentent littéralement à des combats de boxe. Même leurs départements sont moqués : deux exemples criants, avec le ministre de la Santé et des Bobos sans gravité ou encore celui de la Guerre et des Paillettes. Toutes et tous présentent un intitulé à la fois grotesque et qui en dit long sur leur  véritable rôle… Quant au jeune président – dont le nom n’est pas cité –, il s’exprime comme un ado, sur fond de rap autotuné et toujours muni de ses albums Panini. De manière totalement décalée, l’auteur montre que chacun ne sert que ses propres intérêts. Ainsi, quand le président propose les « jeudis tout nus », en réfléchissant bien au-delà de cette idée apparemment loufoque :

« Réfléchissez voyons ! Si nos concitoyens se baladent nus cet hiver, ils attraperont des fluxions de poitrine et l’hôpital public sera vite débordé, ce qui justifiera sa privatisation. En parallèle, les enseignants seront accusés puis incarcérés pour atteinte à la pudeur – à moins que ces petits vicieux de collégiens ne trouvent ça drôle… Bref, les jeudis tout nus, c’est moins de profs et plus de prisonniers. Or, la population carcérale mixte, à poils et en manque de sexe, se mettra à copuler à tout-va, se transmettant au passage quelques maladies vénériennes mortelles. » (p.70-71)

Et il n’est pas seul à vouloir profiter de la situation : dans « le Village »  – qui rappelle à sa manière celui de M. Night Shyamalan dans le film éponyme – un Gourou fait régner la peur, servant lui aussi ses intérêts et ceux, prétend-il, de la religion. Personne n’est épargné, pas même les CRS, qu’on décrit comme des êtres dont le cerveau a été lavé et qui ne servent qu’à taper sur les manifestants mécontents. Le style de Ferdinand Barrett a ainsi tout de la parodie, tout en conservant un côté cynique, presque désabusé sur le fonctionnement de la politique aujourd’hui ; si l’on rit beaucoup devant la loufoquerie de certains passages, le propos sous-jacent et les références à l’actualité sont nombreuses et particulièrement bien amené. Beaucoup d’éléments sont exagéré et quelque peu grotesques dans ce livre, mais on ne peut s’empêcher de se questionner sur la part de vérité qui a conduit à une telle fable…

Nous voici ainsi renvoyés à notre condition animale. Ferdinand Barrett vient nous rappeler, à juste titre, que nous faisons partie de ce règne et que, bien que nous nous croyions souvent supérieur, nous ne le sommes pas. C’est d’autant plus vrai si nous ne nous servons pas de notre capacité à analyser et prendre du recul, censée nous différencier des « animaux »… Une chose est sûre, Les loups sont entrés dans Paris agit comme un miroir déformant de notre société, où l’extrémisme symbolisé par le Grand méchant Loup finira par prendre le pouvoir. La description qui en est faite conclura d’ailleurs cette critique avec plus de justesse que tous les mots que je pourrais écrire, dans une société ou la peur domine :

« Il s’assit sur son lit et prit soin de humer l’air. Il rit. Peu importe d’où venait le vent, ça sentait la poudre. Le combustible se répandait partout, dans l’attente d’une étincelle. Oui, le Grand méchant Loup avait cette faculté de flairer la colère des gens au cœur de la bise. Cet hiver s’avérerait triste et assujetti à sa cause : la mort de l’âme, la mort de l’Homme, le règne de l’animal soumis à l’autorité et à la violence arbitraire, qui lui, le faisait se sentir en vie. » (p. 80-81)

Fabien Imhof

Référence :

Ferdinand Barrett, Les loups sont entrés dans Paris, Édition BoD, Paris, 2022.

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Une réflexion sur “« L’homme est un loup pour l’homme »

  • Merci pour cet article détaillé qui reflète parfaitement ce roman que j’ai eu particulièrement plaisir à lire !

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