Lost in Translation, une saison qui se traduit par le spectaculaire
Le Grand Théâtre de Genève propose pour la saison 2025-2026 un programme édulcoré entre tradition et modernité, comme il est d’usage avec son directeur Aviel Cahn, qui entrevoit sa dernière année comme un feu d’artifice démentiel, entre Broadway et Wagner.
À 50 ans, Aviel Cahn reprendra les rennes du plus grand opéra d’Allemagne, le Deutsche Oper Berlin dès 2026, succédant ainsi à Dietmar Schwarz. Cela signifie que ce sera la dernière saison du directeur et de son équipe au Grand Théâtre de Genève. On prévient que d’ici l’an prochain, il y aura la rénovation de la machinerie et de la tuyauterie des bâtiments, détail technique qui mènera le public habituel à plier bagages jusqu’au Bâtiment des Forces Motrices (BFM).
Lost in Translation, le thème choisi pour cette saison des adieux, ne se perdra pas dans une traduction imparfaite en français. Le choix de conserver le titre dans sa langue originelle montre (si c’était encore chose à prouver) que toute expression étrangère n’est pas traduisible en français.
Pourquoi ce thème ? Aviel explique d’emblée qu’aujourd’hui, dans cette société en perte de repères, le mouvement est ce qui fait tenir la bonne marche du monde (les révolutions technologiques récentes telles que l’IA ou encore la politique, citée par le directeur, sont autant d’exemples de domaines qui expient leur faute originelle par des changements successifs et rapides). La recherche du « moi » est ce qui « traduit » cette saison.
La recherche du « moi » commence en trombe avec le Tannhaüser de Wagner, qui se jouera du 21 septembre au 4 octobre 2025. La production sera ultérieurement reprise à Berlin. Cette histoire pouvant se résumer en le conflit entre la chair et l’esprit, montre l’égarement du poète Tannhaüser, pris en étau entre Vénus la sensuelle et l’angélique Elisabeth.
S’ensuivra du 26 octobre au 4 novembre 2025 un très « galactique » Pelléas et Mélisande de Debussy, un triptyque amoureux aux accents – on s’y attendrait – tragiques. À la scénographie, nous sommes surpris·es de retrouver l’artiste serbe de 78 ans Marina Abramovic, restée dans les mémoires pour sa performance Rythm 0 en 1974. Ce Pelléas et Mélisande revisité est la rencontre entre les arts visuels, la danse et l’opéra. Marina apporte à cette pièce abstraite du concret scénographique avec les décors. La musique de Debussy « très fluide et envoûtante », permettra un ancrage d’autant plus puissant à cette pièce.
Pour rester dans le détonnant, le Boléro de Ravel, dont le thème du triptyque amoureux fait écho à Pelléas et Mélisande, sera repris par le triptyque scénographique Cherkaoui/Jalet/Abramovic. 600 morceaux auront été épluchés pour n’en sélectionner que quelques-uns qui seront prêtés au mythique ballet de Strauss, Le Bal impérial, qui fête son 200ème anniversaire. Ce ballet, le premier de la saison, se déroulera du 19 au 25 novembre 2025.
Pour la fin de l’année, rendez-vous à Broadway ! Aviel ne voulait pas quitter Genève sans nous faire don d’un grand show sous forme de comédie musicale à l’américaine. Le pianiste et organiste anglais Wayne Marshall sera à la tête de l’OSR pour conduire cet ambitieux spectacle. Soulignons qu’il n’est pas d’usage de faire appel au très sérieux et nobiliaire OSR pour des comédies musicales. Nous pouvons nous attendre à un feu d’artifice en grande pompe, à découvrir du 13 septembre au 31 décembre. Une façon originale de préparer la nouvelle année !
Et puis, dès janvier, rendez-vous aux BFM !
Pour rester dans le thème du voyage hors-Europe, nous retrouvons l’Italienne à Alger de Rossini du 23 janvier au 5 février 2026. Une pièce qui fit scandale à l’époque, le librettiste originel ayant été interdit d’écrire quoi que ce soit à la suite de cette pièce quand les autorités réalisèrent que sa pièce mordante et critique n’avait rien d’exotique mais évoquait la réalité politique italienne. Deux grandes voix se partageront la tête d’affiche : Gaëlle Arquez, pour l’Italienne et Nahuel Di Pierro pour le rôle de Mustafa.
Le très baroque Castor et Pollux de Jean-Phillipe Rameau sera joué du 19 au 29 mars 2026, mis en scène par le très grand chorégraphe roumain Edward Clug. Ces deux personnages issus de la mythologie grecque apparaissant dans l’Illiade, sont désignés comme frères par Hélène. L’argument de Jean-Phillipe Rameau met l’accent sur leur rivalité amoureuse pour une même femme, thématique qui fait écho à Pelléas et Mélisande. L’artiste lyrique suisse Eve-Maud Hubeaux qui tiendra le rôle féminin principal, évoque sa grande satisfaction de faire du baroque, genre musical plus vraiment à la mode de nos jours.
Madame Butterfly de Puccini ouvrira le printemps 2026 du 23 mars au 3 mai. Antonio Fogliani, dont on ne compte plus les grands orchestres dirigés, sera à la baguette pour cette pièce. On nous informe très vite que l’attitude sous-jacente « raciste » du spectacle aura été élimée pour laisser place à un argumentaire plus moderne, en accord avec les valeurs de notre époque.
Le chorégraphe espagnol très à la mode Marcos Morau poursuivra cette saison hors-murs avec sa création Svatbata, une pièce poussant à la réflexion sur l’épineuse question du siècle, à savoir l’identité. Cette pièce fait écho aux catégorisations systématiques qu’une population souvent jeune et « engagée » cherche à mettre en exergue sur autrui, ce qui, de manière ironique, appuie de manière involontaire les différences, amenant à un racisme parfois plus « extrême » que celui de ceux qu’ils combattent (je peux évoquer de manière anecdotique à cet effet un groupe de jeunes gens anticolonialistes à Paris, faisant devant mes yeux l’apologie des tribus africaines à un jeune garçon métisse, lui disant qu’il était complice des oppresseurs de ses ancêtres en refusant d’apprendre le swahili et en s’habillant en petit « bourge français »). Morau regrette cette époque lointaine où l’on reconnaissait plus volontiers les similitudes que les différences. Svatba, qui veut dire « mariage » en bulgare, est une célébration de la vie, mystérieuse et vibrante.
Et puis, la pièce la plus déjantée et rock’n’roll (et inattendue du GTG) : 200 Motels de Frank Zappa. On annonce que Mike Keneally en personne, musicien de Zappa, sera à la guitare. Robin Adams, qui avait interprété le Saint-François d’Assise de la saison passée, fera partie des acteurs phares de la pièce. La direction musicale se fera sous Titus Engel, qui avait dirigé Einstein on the beach en 2019. 8 percussionnistes virtuoses soutiendront l’unique opéra de Zappa.
L’opéra qui conclura la saison 2025/2026 sera joué du 18 au 28 juin 2026.
Cette saison 2025/2026 très déjantée, met l’accent sur l’identité, thème que s’arrachent nos cadets, avec raison, puisqu’elle est au cœur du questionnement artistique et humain : « qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ? »
Alors , chers ados et autres jeunes lecteurs, n’hésitez pas à faire connaissance avec le programme du GTG, qui s’annonce aussi fantasque que fantastique !
Apolonia M.-E
Les détails et informations de chaque spectacle sont à retrouver sur le site du Grand Théâtre de Genève.
Photos : © Nicolas Schopfer