Les réverbères : arts vivants

Pas de période de vache maigre au TMG

« Pas de doudounes, pas de lait ! » : les vaches de la Ferme à Michel sont en grève dans Meuuuh nooon !, une comédie décapante inspirée d’un album américain. L’occasion d’expliquer la complexité du système patronal aux plus jeunes.

Dans la Ferme à Michel, il y a des vaches, des poules, des moutons, des oies, et la chienne Laïka. Chine Curchod et Fanny Pélichet, les deux marionnettistes, nous les présente telle une maison de poupée, à grands renforts de petites figurines. Tout se passe bien, jusqu’à l’hiver, où l’état de délabrement de la grange ne permet plus aux vaches d’avoir assez chaud. C’en est assez : elles réclament des doudounes, sans quoi elles ne produiront plus de lait. Les négociations avec Michel s’avèrent intenses, créant des émules jusque chez les poules qui demandent à leur tour un nouveau poulailler, plus grand. L’intervention de deux journalistes n’arrange pas forcément les choses. On aperçoit donc toutes les étapes de la grève, revisitées avec humour et beaucoup de couleurs, pour s’adresser aux enfants.

Amour vache

Les vaches en ont assez de leurs conditions de vie et de travail et le revendiquent avec un slogan fort : « Pas de doudounes, pas de lait ! » On entre dès lors évidemment totalement dans le monde de la fiction, qui sert parfaitement le propos. Mêlant diverses techniques marionnettiques – marionnettes de table, portées, à fil… – Chine Curchod et Fanny Pélichet manipulent sur scène une dizaine de vaches, quelques poules, un chien, un fermier et incarnent même les journalistes, d’abord représentées uniquement par leur frange et leur veste. Donnant vie à tout un panel d’être vivants particulièrement colorées – les vaches bleutées ne sont pas sans rappeler celle de Milka par exemple – elles nous font plonger dans une fiction décapante. Mali Van Valenberg signe ici une adaptation très réussie, sans tomber dans un propos manichéen, en diversifiant les points de vue pour tenter de montrer, avec humour, toute la complexité de cette affaire.

Face aux revendications des vaches, donc, Michel tente de formuler ses arguments de patron : il n’a pas les moyens d’accéder à leurs demandes ; s’il accepte cela, alors elles demanderont plus… quel intérêt d’entrer en matière si c’est pour mettre la clé sous la porte peu après ? De l’autre côté, les vaches restent sur leur position et ne veulent pas continuer ainsi, symbolisant un syndicat fort et dont on ne peut, là aussi, que comprendre les arguments. Chacun·e son point de vue, donc, et les négociations n’avancent pas ! La force de Meuuuh nooon !, donc, est de ne pas présenter les choses de manière manichéenne. Michel est d’ailleurs présenté comme quelqu’un de gentil, auquel on s’attache également, tout en étant du côté du troupeau. Il veut bien faire, mais doit faire face à la réalité et défendre des intérêts plus larges. On assiste ici – contrairement à ce qu’on peut régulièrement lire dans la presse lors de conflits entre patron et employés – à un respect mutuel, qui doit permettre d’arriver à une solution pacifique. Laïka, dans cette histoire, joue également un grand rôle, faisant le lien entre les deux camps, telle une modératrice. Les seules à envenimer le conflit sont les deux journalistes, présentées de manière un peu caricaturale, et particulièrement à l’ouest. On imagine aisément que ces choix – atténuation du conflit, patron pas si méchant mais qui ne sait trop quoi faire, vaches revendicatrices, et journalistes loufoques – sont réfléchis pour s’adresser aux enfants, Meuuuh nooon étant annoncé dès 4 ans. D’un œil plus adulte, on se dit également qu’on aimerait bien que les choses se passent ainsi, avec de vraies négociations. Et l’on pense également au drôle de jeu que jouent bien souvent certains journalistes, ne faisant qu’envenimer le conflit…

Pour ne plus être des vaches à lait

Contrairement à ce que l’on voit habituellement, donc, tout se résout de manière pacifique et positive. Nous le disions, la bonne entente entre les deux camps, et le fait que ce spectacle s’adresse au jeune public dès 4 ans, y sont pour beaucoup. Si l’on cherche à expliquer aux enfants les négociations pour de meilleures conditions, on ne peut bien sûr pas tout leur montrer. On regrettera tout de même que la résolution des négociations arrive d’un coup, sans qu’on ne comprenne vraiment comment elle est arrivée. Ce point-là aurait sans doute mérité d’être mieux explicité. Il s’agit toutefois du seul reproche que l’on peut faire à Meuuuh nooon !, le reste fonctionnant parfaitement.

Si on devait résumer Meuuuh nooon en deux mots : vachement bien ! On se prend au jeu des différentes marionnettes, on en oublie la présence des comédiennes, alors qu’elles manipulent à vue. Les couleurs nous rappellent un univers pop-art qui donne au spectacle un aspect pétillant, que les enfants adorent. N’oublions pas non plus les chansons et le fait d’avoir entraîné les enfants à crier les slogans en chœur. La fin, ouverte, s’avère également être une belle idée, montrant que, même si certains différends sont résolus, la lutte continue et d’autres revendications surviennent encore au fil du temps.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Meuuuh Nooon !, de Mali van Valenberg, d’après Clic Clac Meuh ! de Doreen Cronin, du 7 au 18 mai 2025 au Théâtre des Marionnettes de Genève.

Mise en scène : Nathalie Cuenet et Vincent Bonillo

Conception et interprétation : Chine Curchod et Fanny Pélichet

https://www.marionnettes.ch/spectacle/meuuuh-nooon

Photos : ©Philippe Pasche

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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