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ma vie pour une canette de bière pastiche en mode critique

« et ce que le procureur a dit, c’est qu’un homme ne doit pas mourir pour si peu, qu’il est injuste de mourir à cause d’une canette de bière que le type aura gardée assez longtemps entre les mains pour que les vigiles puissent l’accuser de vol et se vanter, après, de l’avoir repéré et choisi parmi les autres, là, qui font leur courses » (p. 1)

sans majuscule, ni point, c’est en un souffle que se déroule Ce que j’appelle oubli, roman de Laurent Mauvignier paru en 2012 aux Éditions de Minuit – une seule phrase, sans commencement ou fin tangible, qui ne semble jamais vouloir s’arrêter, Ce que j’appelle oubli est un livre à lire à haute voix, d’une traite, afin de mieux pouvoir saisir le dernier souffle du personnage dont l’histoire est racontée, histoire inspirée d’un fait divers survenu à Lyon en 2009, histoire de la mort d’un homme – battu à mort par quatre vigiles pour avoir dérobé et bu une canette de bière – dans sa longue phrase, Laurent Mauvignier interroge le cœur, bouscule les esprits, quel est le prix d’une vie humaine ? certainement pas celui d’une banale canette de bière, boisson pourtant si exquise qu’en lisant le lecteur peut presque en sentir le goût, l’effet rafraîchissant en même temps que le personnage principal, car Ce que j’appelle oubli est aussi le tableau vivide d’une vie volée où l’on se retrouve dans les détails de l’existence d’un homme, dans les subtilités d’un moment où l’on se protège avec lui de la pluie sous le store d’un magasin, ou encore dans le geste insignifiant d’une canette froissée, jusqu’à ce que la réalité fasse exploser cette vie, cette bulle de chaleur, avec la violence la plus extrême et la plus cruelle, « les lèvres bleues et dans la bouche les deux dents cassées, les yeux fermés sous la chair gonflée, les paupières cernées d’un noir cendre et le nez éclaté » (p. 42) c’est une tragédie, à la fois saisissante et repoussante, où au travers du style de Mauvignier, l’atrocité de l’indicible s’efforce d’être dite

Cloé Bellamy

Références : Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle Oubli, Éditions de Minuit, 2011, 61 p.

Photo : manfredrichter

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