Les réverbères : arts vivants

Mais qui est George Kaplan ?

Le Théâtre du Loup accueille un spectacle en trois parties, reliées par le seul nom de George Kaplan, le même que le personnage de La mort aux trousses. Le texte de Frédéric Sonntag résonne avec la mise en scène d’Elidan Arzoni, pour en dire beaucoup sur les peurs qui animent notre société.

Tout commence avec un groupe d’activistes, nommé George Kaplan, comme tous ses membres. Leur but ? Diffuser cette identité à un maximum de personnes, tout en créant un grand nombre de fausses pistes, afin de faire tomber ceux qui gouvernent le monde et créer un immense chaos grâce à ce qui doit devenir un mythe. Changement de décor dans la seconde partie, où nous assistons à une réunion de scénaristes qui doivent imaginer une future série télévisée, dans laquelle l’un des personnages se nommerait George Kaplan. La porte est alors ouverte aux scénarios les plus fous. Enfin, dans la dernière partie, nous découvrons une organisation secrète qui gouverne le monde en sous-marin et tente de comprendre qui est ce George Kaplan, dont on commence à entendre parler partout. Avant de, pourquoi pas, s’en servir à leurs fins… Dans ce spectacle, on retrouve donc tout ce qui domine le monde d’aujourd’hui : des élans révolutionnaires face à un gouvernement qui ne nous convient pas toujours, l’omniprésence des médias qui orientent parfois notre façon de penser, ainsi que les plus folles théories du complot. Un cocktail explosif, donc, pour un spectacle qui pose beaucoup de questions…

Une brillante construction

On soulignera tout d’abord la manière dont les trois parties du spectacle sont reliées… sans néanmoins l’être de prime abord. Après la première transition, on se sent d’abord perdu. La première partie était-elle une fiction dans la fiction, créée par les scénaristes de la deuxième partie ? Cette dernière viserait-elle à nous faire comprendre d’où vient la première ? Bien vite, on abandonne cette hypothèse et les mystères amenés dans la deuxième partie nous apportent paradoxalement d’autres éléments de réponse. À commencer par cette question fondamentale : qui sont les commanditaires du scénario ? Si la réponse ne sera jamais apportée, l’imagination des spectateur·ice·s peut dès lors aller très loin… Jusqu’à la troisième partie, qui fait le lien entre tous les éléments du spectacle, sans pour autant tout nous donner. À nous, public, de faire un travail mental pour combler les manques. Difficile, dans cette critique, d’en dire plus, sans tout dévoiler de l’intrigue !

Ce qu’il nous faut souligner encore, c’est la présence des cinq mêmes comédien·ne·s dans les trois parties : en changeant de coiffures – perruques à l’appui – et de costumes, on comprend bien qu’il s’agit de personnages différents. Pourtant, on se prend à s’imaginer que les trois parties pourraient tout aussi bien être trois réalités alternatives, ou bien une seule où tout est lié, avec les mêmes personnes qui tirent toutes les ficelles, d’où les ressemblances entre les personnages… Tout paraît alors possible, avec un jeu sur les non-dits, sur tout ce qui est suggéré. Certaines mécaniques et autres références, au-delà du nom de George Kaplan, reviennent subtilement pour créer ce sentiment de perte. Et de donner lieu aux théories les plus farfelues. L’humour, souvent absurde, est sans doute pour beaucoup dans cet effet. Mais n’est-ce pas ce qu’on attend de nous ? Ou est-ce moi qui pousse la réflexion trop loin ?

Une forme d’absurdité

L’humour de George Kaplan est difficile à définir, oscillant entre l’absurde et un côté parfois grinçant. On évoquera les running gags, comme ces réflexions autour du café, plus ou moins bon selon les scènes, alors que les personnages sont en pleine discussion importantes. N’oublions pas, côté absurde, les votes de la première partie, qui vont jusqu’à être proposés pour savoir si les membres de l’équipe présente sont en réunion ou non. Soulignons enfin que, dans chaque partie, un personnage est totalement à côté de la plaque. Par ce biais, George Kaplan illustre l’absurdité du monde, de nos peurs parfois paranoïaques, exemplifiées à travers les trois groupes qui nous sont présentés sur la scène. On se trouve ainsi toujours dans un entre-deux entre un côté presque grotesque et l’envie de croire à l’existence de ces théories. Une hésitation exacerbée d’ailleurs aujourd’hui par les réseaux sociaux.

Pourtant, George Kaplan n’est pas qu’humour, et ce côté absurde contraste avec des passages très forts : il en va ainsi du monologue de Bob, à la fin de la seconde partie. Alors que sa récente rupture revenait comme un running gag, tout se termine par un moment d’émotion. Tout le spectacle se joue ainsi sur un fil, qui bascule d’un côté ou de l’autre à chaque instant. On ne sait jamais vraiment s’il faut rire ou pleurer de la situation, si ce qu’on nous raconte est exagéré ou pose une véritable question de fond. À nous, spectateur·ice·s, de prendre position. La pièce nous laisse la latitude nécessaire pour le faire, face au monde qui nous entoure aussi. En ce sens, George Kaplan, dont on ne sait toujours pas véritablement qui c’est, ou même ce que c’est, agit avec un grand effet cathartique, dans ce spectacle au scénario hitchcockien.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

George Kaplan, de Frédéric Sonntag, du 23 mai au 4 juin 2023 au Théâtre du Loup.

Mise en scène : Elidan Arzoni

Avec Sophie Broustal, Vincent Jaquet, Frédéric Landenberg, Sophie Lukasik et David Marchetto

https://theatreduloup.ch/spectacle/george-kaplan/

Photos : ©Carole Parodi

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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