Les réverbères : arts vivants

Mais sérieux… quoi !

Ou de la démocratie des sentiments – Tant bien que mal – Par la Compagnie Mmm – Casino- Théâtre de Rolle – c’était à voir le 29 novembre 2024.

Un solo de batterie ouvre le spectacle, et comme le public s’attend à tout, il peut s’attendre à un morceau de bravoure à l’image de celui de Ian Pace des Deep Purple (The Mule). Cependant, le morceau de bravoure scénique tient dans la voix et dans le corps de Marie-Magdeleine. Une comédienne, aussi menue que Piaf et munie de la même énergie et présence vocale que la môme. Ça n’a l’air de rien, il y aura tout.

Tout de suite, on entre dans une famille effervescente. Aux nombres de jurons qui ponctuent les dialogues, aux expressions familières, « Mais sérieux quoi ! » Jusqu’aux fautes d’orthographe verbales, on sent que l’on arrive dans un monde où les choses ne sont pas faciles tant dans les sentiments que dans la vie de tous les jours. Le monde d’en bas. Une famille à l’image des Groseilles, mais en un peu mieux avec les mots des pauvres gens comme le chantait Léo Ferré. (Avec le temps)

Dans cette smala, on s’invective, ça gesticule et parle fort, il y a des divas, des ténors du quotidien et ceci sur trois générations et onze membres de la famille. À ceux-là, s’ajoutent cinq personnages satellitaires. Et tout ce petit monde sur scène tient, tels des objets dans la valise de Merlin, dans une seule comédienne. La salle n’en croit pas ses yeux. Et il y a de quoi. C’est époustouflant d’énergie !

Comme toute histoire, les choses débutent par le monde ordinaire de chacun. Un père qui décroche en tirant ses clopes, la mère qui tient sa famille à bout de bras, les frères et sœurs – grand·e·s et petit·e·s se chicanent, un bébé trop petit pour faire quoi que ce soit, une grand-mère qui s’agrippe à un monde qui lui échappe tandis que l’adolescente de service est un parfait exemple du genre. Du quotidien chimiquement pur bordé d’amour.

Puis, arrive une déchirure du monde !

Le grand frère s’est pendu. Il laisse derrière lui, non seulement une vallée de larmes, de l’affliction en nombre, mais aussi des questions et qui plus est des interrogations. La première étape du deuil s’impose. Et c’est à cet instant du spectacle que le sentiment de douleur se développe, et qu’importe que l’on soit riche ou pauvre, le deuil est un ressenti démocratique.

S’imposant sur l’entier de la scène, la comédienne place ses dialogues, vit, virevolte, danse, tourbillonne, accompagnée à la batterie et à la guitare par Nicolas Girardi, qui assure le fond musical et les bruitages. Iels sont deux et font autant qu’une troupe au complet. Les scènes sont impressionnantes de vie, de drôlerie et animées parfois par cette bêtise que nous portons tou·te·s et qui nous rend si humain·e·s. On n’est pas intelligent·e tout le temps, ici les personnages ne sont pas idiots en permanence.

Alors, des phrases s’invitent dans les âmes meurtries : « Rester en vie, c’est rester coupable. Le pire serait qu’on n’arrive ni à en rire, ni à en parler » sur un ton qui rappelle Grand Corps Malade avec en fond la chanson de Marc Lavoine Reviens mon amour. C’est tout l’art de ce spectacle de passer d’un sentiment à l’autre, d’une situation à l’autre, d’un personnage à l’autre avec une parfaite distinction des choses. Le public est sous le charme.

Et quand le père partage enfin son chagrin, il y a quelque chose qui résonne dans la salle. Dans les fauteuils, l’interrogation de chacun résonne. Et l’on s’aperçoit que les sentiments démocratiques ne sont ni un vestige du passé, ni un supplément d’âme.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Tant bien que mal – par la Compagnie Mmm, au Casino-Théâtre de Rolle, le 29 novembre 2024.

Texte et jeu : Marie-Magdeleine

Avec Marie-Magdeleine et Nicolas Girardi

https://www.theatre-rolle.ch/programme/tant-bien-que-mal/

Photos : ©Compagnie Mmm

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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