Les réverbères : arts vivants

Manifester le trouble en moi

Se mettre en frais pour des clopinettes ? Que nenni. La danseuse Manon Parent se donne à pleins poumons sur la nouvelle scène du Pavillon ADC et livre, par envolées de danse contemporaine et/ou coups de poings, ce qui traverse tout un chacun. L’émotion vive, à voir jusqu’au 3 octobre.

Contrat ou miroir ?

Le Pavillon de l’ADC, par sa grande taille et ses filets de lumière qui se meuvent au-dessus des spectateurs dans l’attente du spectacle, nous extrait en un rien de temps hors de nos quotidiens. S’empare de nous une impression d’harmonie, de sérénité qui se poursuivra avec l’arrivée étonnante de Manon Parent. En effet, celle-ci viendrait presque s’installer dans le public pour converser. Chaussée d’une paire de baskets et de vêtements simples, elle casse tout de suite le mur érigé entre ceux et celles sur scène ou en-dehors. Et puis, ses yeux inquisiteurs, curieux cherchent les nôtres, elle tend la main vers nous et c’est ainsi qu’on se sent happé et perçu. Nous voilà comme pris au (beau) piège avec une confiance qui s’installe très rapidement. C’est en quelque sorte un moment durant lequel nous nous mettons d’accord sur ce que nous allons voir et ressentir. Ou alors – et il faudrait alors jeter un coup d’œil à sa jupe argentée, elle nous montre qu’elle sera un miroir de nos états intérieurs, parce qu’ils sont communs à tous. Elle dansera ce qui l’anime, elle d’abord, mais qui pourrait très bien être le simple reflet de nos troubles à nous.

Cette horizontalité est particulière et marque.

La main qui guide

La danseuse emprunte son style inimitable à différentes origines : improvisation, arts martiaux, danse contemporaine, ballet – ce qui est ici également la patte du chorégraphe Ioannis Mandafounis, dont le travail s’organise autour de créations chorégraphiques par improvisation. Ces premières impulsions qui dirigent la danseuse donnent au spectacle une dynamique rare. Elle danse sur du Ravel et du Debussy (que je n’aurais pas reconnu) et traduit ce que lui inspire la musique. Ou est-ce la musique qui correspond particulièrement bien à ce qu’elle traverse ? Cette question a du sens dans la mesure où c’est Manon Parent qui déclenche sa propre musique sur l’ordinateur, qui parcourt l’immense scène épurée de long en large, par bonds et par sauts puis à terre. On la sent vivre. De temps à autre, elle guigne sa main et fait mine de suivre un nouveau mouvement. Ces moments de zoom sont précieux, tant ils donnent l’impression que la danseuse communique avec son corps et l’écoute. Ils sont également comme des arrêts sur image et permettent de comprendre qu’elle passe d’une émotion à l’autre.

Adieu la binarité

Certes, la scène est ceinte de noir et les tapis de danse blancs – mais cela sera le seul temps de binarité proposé par la performance de Manon Parent et cette approche nourrit notre horizon d’attentes ! Elle convie les spectateurs à des formes de danse contemporaine plus ouvertes qu’une unique prestation dansée : du chant, un bref récit, des temps de pose, de goûter sur scène (hé oui !), on assiste à une histoire soutenue par quelques éléments de décor créant des petits ilots de part et d’autre de la scène. Puis, ses humeurs fluctuent. Loin de passer d’un air de componction à la joie la plus extrême, elle représente les émotions avec beaucoup plus de variété que nous pourrions imaginer. Nous rions, sommes scotchés par sa rage, puis touchés lorsqu’elle s’enroule et se déroule au sol. Le temps du spectacle évite toute longueur et la performance est sectionnée en plusieurs phases que l’on apprécie. Une vulnérabilité présentée avec de la distance et qui laisse l’espace aux spectateurs de s’y projeter. On en redemande !

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Scarbo de Ioannis Mandafounis, au Pavillon ADC du 29 septembre au 03 octobre.

Mise en scène : Ioannis Mandafounis

Avec Manon Parent

Photos : © Jean-Baptiste Bucau

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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