Les réverbères : arts vivants

Manipulation et jeux de pouvoir dans Helvetius

Une partie des secrets derrière la Guerre des Gaules nous est dévoilée dans Helvetius. Entre mensonges, secrets et promesses brisées, c’est une confrontation stratégique entre César et Divico, chef des Helvètes, qui se joue sur les planches de l’Alchimic jusqu’au 11 octobre.

Sous la menace des Germains, le peuple helvète décide de tout brûler et de partir s’installer chez ses cousins Santons, dans le Sud-Ouest de la Gaule. Mais pour y parvenir, il leur faut passer par Geneva, en pays allobroge, récemment placé sous le commandement de Jules César. Ce dernier cherche au même moment à contrer les projets du Sénat, qui lui a confié deux provinces gauloises, ainsi que celle attenant au royaume dace. Il lui faudra donc se battre sur deux fronts pour s’en sortir. Heureusement pour lui, les Daces sont occupés sur leur flanc est par l’extension de leur territoire et lui laisseront ainsi du répit pendant plusieurs années. Il lui faut donc conquérir la Gaule avant que les peuples locaux ne s’allient contre l’Empire romain. Le passage des Helvètes sur les terres séquanes et éduennes, après avoir été décimés à Geneva, lui offre l’occasion rêvée de déclencher les hostilités au sein des peuples gaulois et celtes…

Les dessous de la Guerre

De la Guerre des Gaules, on retient surtout l’écrit éponyme de César. On le dit souvent : l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Dans ce spectacle, Dominique Ziegler propose une fiction documentée – les faits historiques sont vérifiés, en témoigne la bibliographie présente dans le dossier de presse – présentant les points de vue des deux camps. Pas de parti pris ici, simplement deux visions des événements qui s’opposent, vues de l’intérieur. Chacun se fera ensuite son opinion… Durant une heure et demie, on découvre toutes les manigances et stratégies élaborées par les deux partis. Les promesses sont trahies ; César joue sur les termes des contrats, manipulant à sa guise les chefs adverses, à commencer par Divico. Avançant la menace germanique, il parviendra – on en a déjà une esquisse – à monter les peuples gaulois et celtes les uns contre les autres. Même si l’on peut penser que César est décrit comme un tyran sans cœur, il n’y pas vraiment de gentils ni de méchants – juste des hommes prêts à tout pour servir leurs intérêts et/ou ceux de leur peuple. Et tant pis pour les autres.

L’on peut tracer de nombreux parallèles avec ce qui s’est passé ces dernières années : la présence américaine dans de nombreux pays, la soi-disant pacification voulue par certains dirigeants dans des pays où – ô surprise – les puits de pétrole foisonnent… On pourrait aussi y voir une critique du capitalisme et de certaines entreprises, prêtes à tout pour avaler leurs petits concurrents et grandir encore et encore, à la manière de l’Empire romain. Mais gare au retour de bâton…

Là où Dominique Ziegler excelle, comme bien souvent, c’est dans sa façon d’envisager cette critique. Jamais frontal, il fait comprendre, par bribes et en laissant l’imaginaire de chacun faire le reste, où il veut en venir. En prenant toujours une posture historique, il appose une réflexion sur la société d’aujourd’hui avec une finesse et une plume toujours acerbe. On l’avait déjà vu, par exemple, parler de liberté d’expression et de censure à travers Ombres sur Molière, ou encore l’utopie politique et la soif de pouvoir dans Le rêve de Vladimir.

Un nombre incalculable de personnages

Comme dans Le rêve de Vladimir, on fait face à un grand nombre de personnages, portés par sept comédien.ne.s seulement. Il est intéressant de relever la façon dont ils sont traités. Seuls deux comédiens n’incarnent qu’un seul rôle : Yves Jenny est Divico, quand Vincent Ozanon fait un Jules César plus vrai que nature. Ces deux figures représentant les deux camps qui s’affrontent ; ils incarnent la puissance des chefs et ne pouvaient donc pas camper d’autres personnages. Sans occulter la superbe performance des autres comédiens que sont Jean-Paul Favre, Olivier Lafrance, Ludovic Payet et Julien Tsongas, ce sont surtout les rôles pris en charge par Marie Druc qui sont particulièrement intéressants à retenir. Elle incarne ainsi trois figures importantes – dont les deux seules femmes présentes dans la pièce :  elle devient tour à tour Aurelia Cotta (la mère de Caius Julius César), la druide helvète (dont le nom est un secret) et Vercingétorix. Ces trois personnages représentent sans doute les trois plus grands opposants de César – en-dehors de Divico, bien sûr. Ce n’est pas un hasard si la pièce commence dans le cauchemar du futur empereur, qui viole sa mère dont il rejette l’héritage et le nom. La druide, quant à elle, restera méfiante même quand Divico croira aux vaines promesses du proconsul. Quant à Vercingétorix, bien que son apparition dans la pièce ne soit qu’éphémère, on sait bien quel rôle il a joué face à César… S’il était logique – encore que – qu’une femme incarne les deux seuls personnages féminins de la pièce, il n’en va pas de même pour ce jeune chef, futur grand adversaire de l’empereur. Doit-on y voir un clin d’œil à la lutte féministe, si importante de nos jours ? Sans le clamer haut et fort, ce symbole la rappelle avec la grande subtilité qui caractérise le texte et la mise en scène de Dominique Ziegler

Une musique en forme d’ambiance

On ne serait pas complet sans évoquer l’immense travail sur la musique, grâce aux créations de Graham Broomfield. Elle est présente dans tous les moments de transition, qui permettant aux comédiens de déplacer les structures anguleuses et sur roulettes qui constituent le décor. On évoquera la douceur acoustique qui suit la discussion sensible entre les frères éduens, Diviciacos et Dumnorix, au sujet de la trahison de ce dernier. On pense également à la guitare électrique aux influences metal, jouée durant la grande bataille finale. À chaque fois, le son contribue à illustrer ce qui vient d’être évoqué dans la scène précédente et qui ne peut être montré sur le plateau. Graham Bloomfield réussit ainsi le tour de force de permettre à tous d’imaginer ce qui se passe, uniquement avec une bande sonore suggestive à l’extrême. Certains passages ne sont ainsi pas sans rappeler ceux des films d’Astérix, qu’il s’agisse de moments dans le village gaulois ou dans la formation de l’armée de César.

Helvetius, c’est donc un spectacle de « théâtre politique », ainsi qu’aime à l’appeler l’auteur et metteur en scène de la pièce. C’est un spectacle qui fait la part belle à l’Histoire, en tentant d’en montrer les divers points de vue, et pas seulement celui du vainqueur, sans pour autant prendre parti. Sans démagogie, il laisse chacun se faire son idée sur les chefs de guerre, à qui on ne peut enlever une certaine conscience stratégique – même si elle se développe aux dépends d’autrui… Mais Helvetius, c’est surtout un spectacle qui fait réfléchir à l’Histoire au sens large, à toutes les guerres que le monde a connues, aux jeux de pouvoir qui s’installent à tous les niveaux. C’est enfin un spectacle qui reste dans la même veine que les précédents, grâce à la plume toujours aiguisée et fine de Dominique Ziegler, qui sait, comme a son habitude, s’entourer d’une troupe et d’une équipe qui portent ce spectacle à merveille.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Helvetius, de Dominique Ziegler, du 22 septembre au 11 octobre 2020 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Dominique Ziegler

Avec Marie Druc, Jean-Paul Favre, Yves Jenny, Olivier Lafrance, Vincent Ozanon, Ludovic Payet, Julien Tsongas

Photos : © Olivier Pasqual

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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