Les réverbères : arts vivants

Martyr : apprendre à répondre aux extrémismes

L’extrémisme religieux : on en parle beaucoup. Mais que se passe-t-il si celui-ci est lié à la foi chrétienne ? Marius von Mayenburg pose cette question dans Martyr, et nous dévoile les mécanismes du fanatisme, en nous rappelant à quel point notre système est démuni au moment d’y répondre. À voir encore jusqu’au 13 février au Théâtre Pitoeff.

Benjamin (Raphaël Archinard) vit seul avec sa mère depuis que son père a quitté le domicile familial. Il refuse de suivre les cours de natation et d’y voir les filles en bikini. En défenseur radical des écritures saintes, le voilà bien vite embarqué dans une croisade contre tout ce qui le répugne dans le système éducatif. Un système d’ailleurs qui peine à répondre à cette montée de l’extrémisme chez le jeune homme. Aucun adulte ne semble savoir comment s’y prendre, et les conséquences commencent à se ressentir sur ses camarades, l’établissement et ses résultats scolaires. Une satire à l’humour grinçant qui nous met face nous, personnes issues d’une culture judéo-chrétienne, aux potentielles dérives de nos croyances et de notre système.

Des mécanismes de l’extrémisme

Pour Benjamin, tout commence avec le départ de son père, pour des raisons qui ne nous sont pas vraiment évoquées. On comprend rapidement qu’il a sans doute rencontré une autre femme et a abandonné son épouse et son fils. La mère de Benjamin fait du mieux qu’elle peut, mais elle sombre dans l’alcool et ne voit pas toutes les difficultés de son fils. Benjamin est en pleine crise d’adolescence et familiale. Sans doute un peu en quête de son identité aussi. Il se cherche et n’a pas de figure solide à qui se référer. Il n’est embrigadé par personne. Seul, c’est bientôt lui qui embrigadera son camarade Georg. Ces éléments illustrent bien, à travers l’histoire de Benjamin, comment fonctionnent les extrémismes. La mécanique est toujours la même : un jeune en détresse qui cherche quelque chose à quoi se raccrocher, une lecture à la lettre des textes, sans se questionner sur les contradictions dont il est empreint.

C’est donc sans recul, sans analyse du contexte, sans compréhension aucune que Benjamin s’enferme dans un dogmatisme dont il ne pourra sortir seul. La scénographie totalement épurée d’Elidan Arzoni, à l’exception d’une table et de chaises parfois présentes, donne à entendre le texte avant tout le reste. Benjamin ne s’exprime presque qu’avec des citations de la Bible, et le public ne manque pas de réagir. On rit souvent, tant on a l’impression que ce qu’il dit est en décalage avec notre réalité. On s’offusque aussi, quand il interdit à une professeure d’enseigner, sous prétexte qu’elle est une femme et doit donc demeurer soumise à son mari. En tout cas, l’écriture de Marius von Mayenburg ne laisse pas indifférent. Et l’on se dit qu’avant de critiquer d’autres religions, nous devrions aussi balayer devant notre porte. Le problème est le même dans toutes les croyances : si nous lisons sans nous questionner, il y a de grandes chances de tomber dans une profonde bêtise. Et d’oublier les valeurs de tolérance et de partage que prônent toutes les grandes religions monothéistes. Mais comment Benjamin peut-il s’en sortir ? Pas seul, en tous les cas…

Une absence de réponse du système éducatif

La critique de Marius von Mayenburg ne s’arrête pas au fanatisme. En lisant le résumé du spectacle, on pouvait craindre qu’il ne soit qu’une succession de clichés. Il n’en est rien ! Car, au-delà de l’extrémisme qui nous est présenté, c’est la réaction du milieu éducatif qui entoure Benjamin qui nous questionne. Personne n’a véritablement les outils pour y répondre. L’enseignante de biologie, Erika Roth (Camille Edith Bouzaglo), également chargée des problèmes des étudiants, s’instruit sur les écritures, non pas pour comprendre la pensée de Benjamin, mais bien pour « le combattre avec ses propres armes ». Quant au professeur de sport et d’histoire (Thomas Laubacher), il ne réfléchit pas plus loin que le règlement. Et que dire du Père Menrath professeur de religion (Laurent Sandoz) qui veut apaiser Benjamin en l’enjoignant à le rejoindre, mais sans jamais écouter son point de vue. Au milieu de tout cela, le proviseur (François Nadin), semble tout faire pour éviter les problèmes en allant dans le sens de Benjamin, sans réflexion aucune. Ses constantes allusions au physique de Mme Roth ne font rien pour arranger son cas… Si ces personnages paraissent stéréotypés, ils évoluent heureusement au fil de la pièce. Mais leur grand manque réside dans l’absence de communication. Chacun et chacune a une piste qui pourrait être exploitée pour aider Benjamin. Mais il faudrait pour cela agir ensemble, et surtout tenter de le comprendre, plutôt que de vouloir simplement le changer, non ?

C’est donc un échec du système que nous dévoile Marius von Mayenburg : un personnel encadrant qui n’est pas formé et ne sait pas comment réagir face à ces problématiques. Preuve en est avec les deux autres étudiants présents sur la scène. À commencer par Lydia (Lylou-Mélodie Guiselin), qui joue les allumeuses, mais semble surtout être en manque constant d’attention. Et Georg, handicapé par une jambe plus courte que l’autre et harcelé par les autres élèves… Personne ne fait rien pour l’aider, car tout le monde est trop occupé à tenter de résoudre les problèmes par Benjamin. Alors, c’est vers ce dernier qu’il se tourne, puisqu’il est le seul à encore lui parler. Et quand Georg se pose en plus des questions sur sa sexualité, de nouveaux problèmes apparaissent. Et bien sûr, tout finira par se déliter…

Martyr, c’est un spectacle nécessaire, écrit avec une finesse et un humour caractéristiques de Marius von Mayenburg. L’auteur critique la société, en choisissant un sujet lourd, sans jamais tomber ni dans le grotesque, ni dans quelque chose de  plombant . La mise en scène d’Elidan Arzoni et la finesse du jeu des comédiens et comédiennes y rendent d’ailleurs parfaitement hommage. On pourra reprocher au personnage de Benjamin d’être constamment dans la confrontation, avec une manière de jouer plutôt en force, mais cela n’enlève rien au talent de toute cette troupe. Et quand les néons qui surplombaient le plateau tels une lumière divine s’éteignent, nous voilà seuls avec nos questionnements…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Martyr, de Marius von Mayenburg, du 25 janvier au 13 février 2022 au Théâtre Pitoëff.

Mise en scène : Elidan Arzoni

Avec Raphaël Archinard, Camille Edith Bouzaglo, Sophie Broustal, Lylou-Mélodie Guiselin, Thomas Laubacher, François Nadin, Laurent Sandoz et Loïc Valley.

Un spectacle de la Cie Métamorphoses

Réservations : pitoeff.goshow.ch

Photos : © Raphaël Harari

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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