Les réverbères : arts vivants

Michel Sauser, magicien du levain

Comédien et ancien boulanger-pâtissier, Michel Sauser propose une performance boulangère au Crève-Cœur. Dans Le chant du levain, accompagné de vidéo, de musique live et d’un assistant, il nous plonge dans l’univers du pain, en nous faisant découvrir des éléments insoupçonnés…

Lorsqu’on entre dans la salle, nos papilles sont en émoi : une odeur de tresse au beurre émane du four. Michel Sauser nous expliquera plus tard que ce pain d’origine bernoise a été tressé avec six branches, et qu’il contient 8% de beurre, ce qui donne un résultat particulièrement gourmand… Alors que le silence se fait dans la salle, une voix-off entame l’histoire du pain, de sa découverte, par accident, à ses évolutions, ses nouvelles traditions. Puis Michel Sauser se met en tenue de travail : il prépare un taillé au sucre de Goumoëns, une pâte brisée, de nouvelles tresses à partir des pâtons qu’il manipulait avant le spectacle, une pâte à pain… Le tout en agrémentant ses gestes d’explications historiques, de conseils, d’anecdotes, de considérations sur l’évolution du pain et des farines. Sans oublier d’insister sur la corrélation entre le développement du pain industriel de grande surface et la disparition progressive des boulangeries artisanales. Mais pas de panique, il y a encore de l’espoir de ce point de vue !

Un spectacle magique

Les quatre hommes sur la scène – Michel Sauser le comédien-boulanger ; Benjamin Knobil l’assistant-majordome et régisseur lumières ; Florian Cuellar à la régie vidéo ; Pierre Audétat à la musique et au sampling – sont tous vêtus de noir, sur un plateau entièrement noir. La table au centre, sur laquelle tout est préparée, est, elle aussi, noire. Seul le four blanc contraste quelque peu. L’univers est donc sobre et rappelle certains spectacles de magie. L’accompagnement sonore au synthé et les gestes de l’assistant, qui enfile par exemple la manique sur la main du boulanger, nous en rappellent tous les codes. La gestuelle de Michel Sauser est d’ailleurs précise, souple, sans fioriture.

Il faut dire que la boulangerie peut s’apparenter à une forme de magie : les petits pâtons deviennent une superbe tresse ; un mélange de farine, de beurre et d’eau se transforme et une appétissante pâte brisée ; et la cuisson magnifie le tout, créant des odeurs qui envahissent nos papilles. D’ingrédients somme toute basiques découlent des choses tout bonnement incroyables, grâce au talent du boulanger. Le tout est illustré grâce à la vidéo signée Nicolas Wintsch, co-concepteur du spectacle : on aperçoit en fond de scène des plans vus du dessus de Michel Sauser en train de travailler et d’autres, sous différents angles, en slow-motion, qui s’avèrent presque hypnotisants.

Des évolutions insoupçonnées

Sur la scène, Michel Sauser nous raconte des histoires : celle du taillé au sucre de Goumoëns et la fête qui y est consacrée. Attention, pas de concours ici, juste un moment de partage, où l’on peut déguster les préparations des un·e·s et des autres. Car la boulangerie, c’est avant tout de la générosité, l’envie de partager, de faire plaisir, de découvrir, d’échanger. Exactement ce que fait Le chant du levain ! Avec la narration, accompagnée de la vidéo, le spectacle prend de fait une tournure pédagogique, où l’on a envie d’en apprendre toujours plus. Ajoutant l’aspect hypnotisant du pétrissage de la pâte et les bruitages qui l’accompagnent, on assiste à un spectacle total.

Malheureusement, il y a un autre pendant, que Michel Sauser se doit de nous dévoiler, sans faux-semblants : à force d’évolution, de vouloir toujours aller plus vite, la farine devient trop épurée, le grain n’est plus respecté, on ajoute des additifs tout sauf naturels pour que le pain sente bon, croustille et ait de belles couleurs. Les bactéries ne sont pas conservées, alors qu’elles font tout l’intérêt de cet art culinaire… Mais le message d’espoir demeure : alors qu’en 2020, avec le confinement, tout le monde s’est mis à faire son pain, on retrouve petit à petit des valeurs d’artisanat, de nature, en voulant revenir à des choses simples, en prenant le temps. Et si on appliquait cet état d’esprit à d’autres domaines ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le chant du levain, de Michel Sauser et Nicolas Wintsch, du 14 novembre au 10 décembre 2023 au Théâtre le Crève-Cœur, reprise les 26 et 27 octobre au Pommier à Neuchâtel.

Boulangerie et jeu : Michel Sauser

Musique et sampling : Pierre Audétat

Majordome butler et régie lumières : Benjamin Knobil

Régie vidéo : Florian Cuellar

Vidéo : Nicolas Wintsch

https://lecrevecoeur.ch/spectacle/le-chant-du-levain/

Photos : © Loris von Siebenthal

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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