Le banc : cinéma

Michelle Yeoh dans le Multivers de la Folie du Bagel

Co-écrit et co-réalisé par Daniel Kwan et Daniel Scheinert (connus comme « Daniels »), sorti en 2022, Everything Everywhere All at Once a récemment reçu 11 nominations aux Oscar 2023. Si cela ne vous donne pas suffisamment envie de le regarder, voici trois mots-clés pour émoustiller votre curiosité : bagel, (gros) caillou et… saucisses.

Everything Everywhere All at Once présente la vie d’une femme sino-américaine qui se fait emporter dans une aventure transdimensionnelle en quête d’un mystérieux personnage qui met notre univers en péril… Et tous les univers parallèles liés au nôtre par la même occasion.

Il serait difficile de caser ce film dans un seul genre. Oui, il s’agit d’une comédie, une comédie dramatique en plus, et absurde aussi, et puis on y retrouve un composant de drame héroïque… Le multivers présenté nous rapproche du pur Marvel, et le parodie, mais est-ce vraiment une simple parodie ? Bref vous l’aurez compris, avec Everything Everywhere All at Once, soyez prêt·e·s à être surpris·e·s.

Le film développe pendant deux heures vingt minutes les trois actes de cette comédie dramatique, une composition classique, comme à l’opéra. Il y en a que la longueur pourraient démotiver : n’y cédez pas, je vous en prie. En regardant ce film, en choisissant de lui dédier ce temps, vous aurez aussi acquis le droit d’assister à une célébration du cinéma.

Parlons détails techniques, ce film nous vient du studio A24, une société indépendante de production et distribution qui signe des chefs-d’œuvre tels que Euphoria, Lady Bird, Midsommar ou encore Moonlight. Co-écrit et coréalisé par Daniel Kwan et Daniel Scheinert, ce film met en vedette Michelle Yeoh, Ke Huy Quan, Stephanie Hsu, Jenny Slate, Harry Shum Jr, James Hong et Jamie Lee Curtis.

Michelle Yeoh porte le poids du rôle principal de façon impeccable en tant que Evelyn Wang, une femme qui quitte la Chine pour poursuivre le rêve américain aux côtés de son mari Waymond Wang, incarné par Ke Huy Quan, un choix idéal pour ce personnage si charismatique. Le couple Wang déplie un éventail de personnalités différentes, de femme surmenée à kung fu master ; et de mari simplet en crise matrimoniale à casanova héroïque. Michelle Yeoh et Ke Huy Quan parcourent ces personnalités avec fluidité : souvent rien qu’un subtil changement de posture nous indique qu’une nouvelle personnalité vient de prendre le contrôle.

À leur noyau familial s’ajoutent Joy Wang, leur fille, avec une magnifique Stephanie Hsu qui lui donne vie, et le grand père, qui reçoit l’appellatif affectueux de Gong Gong, joué par James Hong.

Finalement, on retrouve la géniale Jamie Lee Curtis en tant que Deirdre Beaubeirdra, une détestable agente du Internal Revenue Service (IRS) : un organisme du gouvernement des États-Unis qui s’occupe du contrôle sur l’impôt sur le revenu et autres taxes diverses de ses citoyens.

Nous suivrons ces personnages dans une odyssée à travers les univers ; une odyssée qui poussera notre protagoniste jusqu’au bout de ses convictions, bouleversera sa compréhension du monde et secouera dans tous les sens son rapport à ces personnes qui l’entourent.

Le centre de l’action se trouve dans un espace clos : les bureaux de l’IRS, un espace tout à fait anodin qui devient l’œil de l’ouragan de cette anomalie spatio-temporelle. Lorsque les Wang montent dans l’ascenseur pour retrouver l’agente Beaubeirdra, on apprend qu’en fait il n’y a pas qu’un Waymond, ni une seule Evelyn. En effet, le concept du multivers s’immisce dans la réalité si familière du film. La routine est brisée, nous venons de rentrer avec la famille Wang dans une mer de possibilités : chaque choix qui a été fait dans leurs vies a créé une nouvelle branche, un nouvel univers, et ils sont tous accessibles pour tant qu’on sache comment faire. De quoi donner le tournis !

Truffé de symbolisme et easter eggs, ce film est un délice à découvrir. Quelques-uns sont évidents, comme les références à Ratatouille, Kill Bill ou The Matrix. D’autres, plus subtils, nous surprennent par leur dimension philosophique : la complémentarité du bagel et des googly eyes transmet des concepts appartenant au bouddhisme et au taoïsme. Une façon d’expliquer le yin et le yang depuis l’absurde qui surprend et… a totalement du sens. Finalement, les scènes de lutte d’arts martiaux font un très évident clin d’œil aux films de Jackie Chan, un ambassadeur clé dans la popularisation des arts martiaux dans les films d’action.

Monomythe, voyage du héros, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités… On dirait un film d’action comme tant d’autres. Oui, mais non. Car un simple film d’action ne nous amènera pas à découvrir les différentes faces du traumatisme intergénérationnel, liées à l’immigration, au racisme, à la difficulté qu’ont les structures familiales traditionnelles à accepter l’appartenance à la communauté queer. Un film d’action n’a pas le temps pour ça. Et cependant, Everything Everywhere All at Once est la preuve qu’en fait, si, un film d’action peut parfaitement s’occuper de ces sujets, de philosophie, d’amour, de chagrin, tout, tout le temps, partout, sans renoncer à un rythme effréné qui enchaîne scène après scène.

Définitivement, je comprends l’enthousiasme entourant ce film. J’en ai été infectée. J’espère pouvoir vous le transmettre. Allez voir Everything Everywhere All at Once, avant que quelqu’un ne vous gâche cet immense plaisir à force de spoilers. Allez retrouver les bagels, les gros rochers et les saucisses.

Alicia del Barrio

Référence :

Everything Everywhere All at Once de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, avec Michelle Yeoh, Ke Huy Quan, Stephanie Hsu, James Hong et Jamie Lee Curtis, États-Unis, 2022.

Photo : © DR

Alicia del Barrio Montañés

Thésarde qui cherche à s'évader de son laboratoire, lectrice avide et grande admiratrice de l'offre culturelle genevoise. Un mix triomphant qui a poussé Alicia à écrire sur ses découvertes cinématiques et théâtrales !

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