Mieux comprendre la dyslexie
« Quand t’es petit, tu comprends pas ce qui t’arrive. Les adultes autour de toi s’affolent. Ils ne savent pas pourquoi tu mélanges les lettres, pourquoi tu n’arrives pas à lire tel mot, ni pourquoi tu fais tant de fautes d’orthographe. Cet enfant a un problème, cet enfant est peut-être bête ? » (p. 13)
La dyslexie est un trouble souvent mal perçu, mal compris par l’entourage de celles et ceux qui en sont atteint·e·s. Qu’il s’agisse des enseignant·e·s, des parents ou des camarades, il est difficile pour tout le monde de savoir quelles réponses y apporter. Les a priori sont d’ailleurs nombreux : cette personne est bête, elle ne fait pas d’efforts, elle exagère, joue sur le fait qu’elle souffre de ce trouble… Pour les dyslexiques aussi, rien n’est simple : il faut appréhender ce trouble, apprendre à vivre avec, ce qui n’est pas simple quand il est vu comme un problème, une défaillance. Dans Confession d’une dyslexique, Amanda Oriol propose ainsi de raconter son expérience pour aider les autres dyslexiques à comprendre, à s’accepter et à évoluer, pour montrer qu’iels ne sont pas seul·e·s. L’objectif est aussi d’aider les autres, qui n’en sont pas atteint·e·s mais qui côtoient des personnes vivant avec ce trouble, afin de mieux comprendre les éléments en jeu et d’adopter les bonnes stratégies et attitudes.
« A nouveau l’incrédulité. Oui, c’est bien moi ! Je ne suis pas stupide ! Et j’ai tellement de sentiments refoulés… Ce jour-là, je me suis sentie, pour la première fois, aussi normale que n’importe lequel de mes camarades. Je me sentais capable de quelque chose. Mon rêve a été, depuis ce moment précis, de publier un livre et de vaincre ce mur qui me sépare des lettres. Montrer qu’une personne avec un handicap peut le vaincre et en faire une force. » (p. 62-63)
Cette citation fait suite à une composition d’Amanda Oriol au gymnase, qui a provoqué des larmes chez son enseignante de français, tant cette dernière était émue. Confession d’une dyslexique se construit comme une sorte de journal, narré à la première personne et suivant l’évolution d’Amanda à travers les étapes marquantes de sa vie : l’enfance, l’école, la confrontation aux logopédistes, le gymnase, l’université, les examens, le permis de conduire, sa vie de couple, ses états intérieurs… La force de cet ouvrage est de permettre à tout le monde de s’y reconnaître, qu’on fasse partie des dyslexiques ou de l’entourage de ces dernier·ère·s. En tant que futur enseignant primaire, cette question me touche particulièrement et le texte d’Amanda Oriol me permet d’appréhender ce trouble de manière différente et sans doute plus précise qu’auparavant. Précisons d’ailleurs qu’Huguette Junod et les Éditions des Sables ont choisi de publier l’ouvrage dans la police Century gothique, qui est plus facile à lire pour les dyslexiques. Étant donné qu’il s’adresse avant tout à elles et eux, c’est un joli geste proposé par la maison d’édition. Quant au rêve d’Amanda, il s’est réalisé : un deuxième opus a d’ailleurs été publié depuis, alors qu’elle a obtenu en 2016 son diplôme de Lettres et qu’elle suit désormais un cursus pour devenir ergothérapeute. Un joli pied-de-nez au destin, n’est-ce pas ?
« On est des caques en mots et lettres – excusez-moi du terme, il faut dire les choses comme elles sont – et pourtant, le nom qu’on a donné à notre handicap est dyslexie… Ce mot… est un des plus emmerdants à écrire que je connaisse. Je n’arrive jamais à l’écrire juste du premier coup. C’est comme une vache qui serait allergique au lait, alors qu’elle en produit. » (p. 79-80)
Ce qui frappe dans Confession d’une dyslexique, c’est l’humour et l’auto-dérision dont Amanda Oriol fait part. Alors qu’elle fait part d’un handicap qui la pèse au quotidien et l’a affectée tout au long de sa vie, on est impressionné·e par le recul avec lequel elle aborde les choses. Elle a su s’approprier ce « handicap[1] », pour en faire une force et surtout apprendre à vivre avec. À travers sa Confession, elle montre que tout n’est pas facile tous les jours, que certaines choses demeurent quasi-insurmontables, comme le fait de lire l’heure sur une horloge ou une montre avec des aiguilles. Mais Amanda Oriol montre surtout que c’est avant tout une particularité qu’on apprend à côtoyer, à aimer même, en assumant la logique qu’elle induit, différente de celle de la majorité de la population. Sans oublier toutefois de mentionner ses inquiétudes pour l’avenir, notamment concernant ses potentiel·le·s futur·e·s enfants. Mais qui de mieux outillé qu’elle, qui a appris à vivre avec son trouble, pour les aider et les accompagner ?
« On écrit tout, même les doutes, et lorsqu’on trouve un mot plus adéquat, on n’enlève pas l’autre, on laisse les deux, en les séparant d’une virgule. Comme ça, inconsciemment, on laisse le choix au prof. On ne se rend pas compte que ça n’a pas de sens. Parce qu’on voit que nous voulons dire, mais forcément, c’est mal exprimé. Et c’est pour ça qu’on a besoin de quelqu’un qui nous corrige et nous recorrige le texte. » (p. 105-106)
Tout au long de sa vie, Amanda Oriol a développé différentes stratégies, que ce soit face aux examens ou dans son quotidien. Elle nous en fait part dans son livre, en contournant parfois certaines logiques, en en utilisant d’autres, enjoignant les autres à l’accepter telle qu’elle est. Il y a bien sûr encore beaucoup de chemin à parcourir, mais l’espoir est bien là. Et c’est ce que véhicule cet ouvrage : l’espoir, l’apprentissage de la vie avec un trouble et une meilleure acceptation par l’entourage. En somme, elle nous invite à changer notre regard, en ne voyant pas la dyslexie comme une déficience, mais plutôt comme une différence comme une autre :
« Nous devrions prendre exemple sur les Canadiens. Ils appellent les personnes souffrant d’un handicap les ˝autrement capables˝. C’est trop joli ! Je suis une ˝autrement capable˝. Je vois le monde différemment, sous un autre angle. » (p. 127)
Fabien Imhof
Référence :
Amanda Oriol, Confession d’une dyslexique, Éditions des Sables, coll. « Sablier », 2018, 135 p.
Photo : © Fabien Imhof
[1] J’utilise ici volontairement les guillemets : il est intéressant de noter que, lors des cours universitaires que je suis dans le cadre de ma formation, on cherche à éviter ce terme pour définir la dyslexie, parlant plutôt d’un « trouble », pour ne pas stigmatiser les élèves concernés.