Les réverbères : arts vivants

Seule en mer, contre vents et marées

Le Vendée Globe est une course de voile mythique. Dans Finisterre, nous suivons le parcours de Marcia Le Goff, une navigatrice inventée par Coralie Vollichard, dans cette folle aventure. Au Casino Théâtre de Rolle, elle y interroge la solitude, la motivation, mais aussi la figure de la femme navigatrice, longtemps bannie car elle portait soi-disant malheur…

Tous les quatre ans, au mois de novembre, entre trente et quarante voiliers partent des Sables d’Olonne pour entamer un tour du monde en solitaire. Passant par les mers les plus difficiles du globe, comme les cinquantièmes hurlants dans l’hémisphère sud, le Vendée Globe met les navigateurs et navigatrice à rude épreuve : trois à quatre mois en mer, sans escale et sans assistance. Il faut être atteint de folie pour entamer un tel parcours, me direz-vous ? Peut-être, mais c’est avant tout une passion et un défi hors-norme ! C’est en tout cas ce que nous raconte Marcia Le Goff (Giulia Belet) sur son bateau. Entre vidéos pour les réseaux sociaux, appels aux proches, avaries, problèmes techniques et météo qui ne l’épargne pas, elle nous montre à la fois ce qu’on voit d’un œil extérieur, mais aussi l’envers du décor. L’aventure humaine est-elle aussi féérique qu’on nous le dit habituellement ?

En bateau

La scène aurait pu figurer un véritable voilier. Il n’en est rien, Fanny Courvoisier ayant choisi de rester dans la suggestion, pour une scénographie particulièrement bien pensée. Des modules de guingois semblent tenus par des cordes – attachées bien sûr avec différents nœuds de marin. On aperçoit une grand-voile, et ce fameux manolier qu’on voit toujours à la télévision et qui semble exiger une force physique incroyable. À travers ce décor, elle illustre l’équilibre précaire de l’embarcation, jamais stable en raison du roulis des vagues, mais aussi l’inconfort qui demeure et la fragilité de ces voiliers face à la puissance maritime. Au-delà de ces éléments, c’est aussi l’ingéniosité des navigateur·ice·s qui est illustrée : le moindre espace est optimisé, pour ranger la radio, imprimer les bulletins météo, embarquer un maximum de nourriture, ainsi que les deux seaux – l’un dévolu à la vaisselle, l’autre… faut-il vous faire un dessin ? – indispensables au bon déroulement de la traversée.

Dans la mise en scène de Coralie Vollichard, rien n’est donc laissé au hasard. La voile sert ainsi d’écran pour projeter les vidéos de Maria qui seront partagées sur les réseaux sociaux, afin de suivre son aventure à distance. Les angles de la GoPro sont choisis de manière à suggérer qu’elle est véritablement en mer. Pour ce faire, le jeu de lumières imaginé par Nicolas Mayoraz s’avère d’une incroyable justesse : on a l’impression de voir la lune en arrière-fond de la vidéo, ou de se trouver sous la canicule des tropiques l’instant d’après. On ressent même jusqu’à la chaleur insoutenable qui assomme Marcia. Le son, figurant la pluie, la tempête ou le vent, revêt aussi toute son importance, pour nous plonger dans l’univers vécu par la navigatrice. Chapeau, donc, à Joséphine Maillefer ! Tous ces éléments contribuent à nous aider à suivre Marcia comme si on y était, à travers les différentes étapes clé que sont le passage du pot au noir, le Cap Horn ou encore l’anticyclone des Açores. La voile bouge au gré du vent, même lorsque les vidéos sont projetées, dans un impressionnant souci du détail.

Voyager avec sa solitude

Au-delà du voyage en mer, c’est à un parcours intérieur que nous convie Marcia Le Goff. L’euphorie du départ et l’assurance de passer un début de périple tranquille laissent rapidement place aux doutes, avec cette mer qui vient rappeler à Marcia que c’est elle qui gagne toujours, quoiqu’il arrive. Ce rapide désenchantement lui permet de se reconcentrer et de se rappeler que rien n’est acquis. Face aux obstacles, l’attention est de tous les instants, qu’il s’agisse de conditions météorologiques difficiles, d’une avarie ou d’un ennui technique. Sans compter la fatigue physique et mentale qui pèse de plus en plus sur la navigatrice. Et si ses vidéos montrent, comme celle qu’on peut parfois voir à la télévision, un état d’esprit toujours positif malgré les difficultés abordées, Finisterre nous emmène dans tout ce dont on ne se rend pas compte, d’un point de vue extérieur.

Pour bien illustrer ces difficultés intérieurs, Coralie Vollichard choisit de présenter certains passages en voix-off, comme un monologue intérieur durant lequel Marcia s’adresserait à elle-même. On y entend ses étranges rêves, ses craintes de ne pas arriver au bout, l’envie d’abandonner parfois, les doutes… Car la solitude la pèse, et c’est dans ce sentiment que se développe tout le paradoxe de la pièce et du parcours de Marcia. On soulignera ici l’impressionnante performance de Giulia Belet. D’un côté, il y a ce besoin de se retrouver seule, de s’éloigner des problèmes du quotidien. Ceux-ci la rattrapent malgré elle, et elle se retrouve à devoir rassurer son mari qui s’inquiète et peine par moments à faire face, seul avec leur fils. Charge mentale, vous avez dit ? Pour autant, cette solitude la pèse, et une scène nous marque particulièrement à cet égard : après treize jours sans se laver, Marcia profite de la pluie pour prendre enfin une douche. Étonnamment, elle se sent moins bien après, ayant perdu l’odeur de sa solitude et de l’aventure, qui l’accompagnait depuis le début. Le défi mental, au-delà du physique, semble alors la peser incroyablement. Pour autant, c’est l’image d’un challenge réussi qu’on retient, le dépassement de soi – pour une fois le terme n’est pas usurpé – et cette image qu’on a tant vue sur nos écrans, reproduite sur la scène : dans le brouillard et la nuit de l’arrivée, Marcia allume ses fusées de détresse – figurées ici par deux spots rouges – pour fêter son retour aux Sables d’Olonne. La boucle est bouclée, merci pour le voyage.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Finisterre, de Coralie Vollichard, au Casino Théâtre de Rolle, du 11 au 14 janvier 2024.

Mise en scène : Coralie Vollichard

Avec Giulia Belet

https://www.theatre-rolle.ch/programme/finisterre/

Photos : © Aurelia Thys

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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