Les réverbères : arts vivants

Le voyage, ça se vit avec les tripes

Avec Road Tripes, François Revaclier signe son premier texte. Il y raconte ses expériences de voyage en Asie, à Bornéo… Il nous convie à une expérience intérieure et immersive, à la recherche notamment de son animal totem. À voir au Théâtricul jusqu’au 21 janvier.

À l’heure où le tourisme de masse fait des ravages dans de nombreuses régions du monde, François Revaclier, alias Albert, nous invite à une toute autre forme de voyage. Road Tripes porte ainsi parfaitement son nom, dans la mesure où l’expérience est intimiste, vécue de l’intérieur, avec une dimension toute personnelle, presque onirique. Le respect des lieux, des traditions et des populations y est central. On pourrait décrire son voyage comme celui de l’effacement, pour celui « qui devient Dalamdunia[1] à la première gorgée d’un café noir au sucre et à l’inhalation d’une fumée en robe de clou de girofle[2]. »

Digne de Bouvier

Alors que L’Usage du monde est actuellement joué sur les planches du Théâtre de Carouge, François Revaclier y propose un joli pendant, dans la salle plus intimiste du Théâtricul. À travers les lieux décrits, on pense évidemment à l’auteur genevois et son périple à Ceylan. Au-delà de cela, c’est l’expérience d’Albert qui nous rappelle Bouvier. À l’image du Poisson-scorpion, où Nicolas souffre de folie, de diverses maladies, alors qu’il n’a plus de ressources financières et que la chaleur et les insectes l’assomment, il se retrouve dans une forme d’état second qui nous rappelle celui décrit ici par François Revaclier. Si sa souffrance est moindre, la chaleur humide qui l’étouffe à peine sorti de l’avion est comparable, tout comme les insectes qui l’agressent à son arrivée à Bornéo, la pluie violente qui s’arrête d’un coup, le laissant là, détrempé, sans ressources… Il y a aussi cette drôle d’aventure avec un taxi qui l’arnaque, et son périple dans la forêt de Bornéo, sans doute celle qui m’a le plus marqué, par la puissance qu’elle dégage, la symbolique qui y naît et qu’il paraît impossible de retranscrire dans cet article.

Car l’écriture de François Revaclier a quelque chose de métaphorique, d’onirique et de très littéraire, loin de l’oralité qu’on pourrait attendre d’un texte destiné au théâtre. On a ainsi l’impression d’entendre la lecture d’un roman, agrémentée par des images projetées sur les murs du Théâtricul et des rares objets – un sac, un tabouret de plastique rouge… – présents sur la scène. On est frappé également par la dimension synesthésique de ses mots, qui mettent tous nos sens en éveil. Il faut garder l’oreille tendue pour entendre toutes les subtilités de la musique lancinante qui accompagne les propos, tandis que le regard est happé par les images projetées et les photos qu’il nous montre. On a même l’impression de sentir l’humidité sur notre peau, tandis que notre nez tente de reproduire les odeurs dont il est question.

Voyage avec les tripes

« L’Europe, je ne l’ai pas vue, je l’ai entendue », disait Moïse dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran. C’est ce qui se passe ici avec les régions d’Asie visitées par Albert. Le voyage se fait à travers toutes ses sensations, dans son corps et son esprit. Au final, ce qu’il raconte est peu factuel, il n’y a que l’essentiel. Exit les longues descriptions détaillées des espaces : les photos et projections sur les murs suffisent à comprendre à quoi ressemble le décor dans lequel il évolue. Ses mots se rapportent plutôt à son ressenti, à ses tripes, et les images font le pendant avec ses émotions. On pense alors au passage du volcan en éruption, devenu tremblement de terre, et à toute la dimension métaphorique qu’il entraîne, de disparition, d’effacement de soi. Il y a aussi ces trips sous acides, qui lui permettent de voir le monde différemment. Voilà qui fait le lien avec les traditions locales et ce rapport à l’environnement si différent, que Dalamdunia tente de comprendre et de vivre de l’intérieur, avant tout. Au final, on retient un spectacle plein d’humilité. À aucun moment on n’a le sentiment que François Revaclier débarque avec ses gros sabots d’Occidental : des liens forts se créent, il comprend, ressent les choses, s’adapte, se fond dans ce décor onirique qu’il respecte plus que tout. Une forme d’invitation au voyage tel qu’il l’envisage.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Road Tripes, de François Revaclier, du 9 au 21 janvier 2024 au Théâtricul.

Collaboration artistique : Attilio Sandro Palese

Avec François Revaclier

https://theatricul.net/road-tripes/

Photos : © Théâtricul

[1] « À l’intérieur du monde » dans la langue locale d’Indonésie.

[2] Citation d’ouverture du spectacle, en exergue sur le flyer du spectacle.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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