Les réverbères : arts vivants

M’Pi et Jean-Louis : rendre sa joie à la vie

M’Pi et Jean-Louis sont des célébrités dans leur village de Ham, en Picardie. Dans le spectacle éponyme qu’elle a créé, Charlotte Filou leur rend hommage, dans un moment de beauté, de simplicité et de joie, entre théâtre et cinéma. Un coup de cœur à voir à La Parfumerie jusqu’au 19 décembre.

M’Pi et Jean-Louis ont marqué la vie de toutes celles et ceux qu’ils ont rencontrés. Elle est presque aveugle, lui presque sourd. Il était prêtre, elle religieuse. Des obstacles qui pourraient paraître insurmontables pour certain·e·s. Mais quand on aime la vie comme ces deux-là, rien n’est impossible. Par amour, ils ont quitté les ordres, pour partager leurs valeurs avec le monde. Devenant d’abord animateurs dans des camps, ils sont contraints de se reconvertir, après l’arrivée de Mitterrand au pouvoir et les coupes dans les budgets. M’Pi ouvrira une école de musique à Ham, alors que Jean-Louis continuera à travailler dans le même domaine, mais dans les bureaux. Sur la scène de La Parfumerie, au milieu des extraits vidéo des entretiens réalisés par Charlotte Filou, Virginie Barreteau jongle entre la narration de cette fabuleuse histoire et des personnages plus ou moins fictifs. Accompagnée de Hugues Sanchez pour l’habillage sonore et les personnages masculins, elle nous emmène dans l’univers de M’Pi et Jean-Louis. Une histoire simple, une histoire d’amour, une histoire de vie.

Au commencement, il y a des rencontres

À l’origine, ce spectacle devait être un film documentaire. Charlotte Filou a retrouvé M’Pi et Jean-Louis dans leur village de Ham, les a interviewés, questionnés, mais surtout beaucoup écoutés. Puis, en 2018, l’envie lui prend d’utiliser ses images pour les amener au théâtre, sublimer le réel et donner toute sa force à cette histoire d’amour hors du commun. Avant de changer la vie de celles et ceux qui ont croisé leur route, M’Pi et Jean-Louis ont d’abord dû se rencontrer. Et quelle rencontre ! Ces deux-là sont des âmes sœurs, difficiles d’en douter. Ils se complètent : il est ses yeux, elle ses oreilles. Ensemble, ils transmettent la vie, la vraie. Pour preuve, dans leur prime jeunesse, alors qu’ils sont encore dans les ordres, ils sont amenés à intervenir et prêcher auprès de personnes en situation de handicap. Ce qu’en dit Jean-Louis résume en quelques mots sa vision du monde :

« Je ne veux pas qu’on pleure, je veux que ce soit une opération de joie. Je voulais que ça monte, qu’ils vivent d’espérance. Nous n’étions pas des gens debout qui nous penchions vers le malade, le handicapé. Non ! On était TOUS handicapé de quelque chose, c’est ça que je leur disais. »

Des mots simples pour une réalité sublime

La scénographie est sobre : un sol noir, deux rideaux blancs qui serviront d’écran et un troisième, rond, sur lesquels seront projetés les extraites de témoignages du couple. Sur la gauche, un cylindre ajustable et surélevé au sein duquel se trouve Hugues Sanchez, auteur de l’habillage sonore du spectacle en live. Au fond, caché, un portant avec les divers costumes que Virginie Barreteau (nonne, danseuse en surpoids, directrice d’un établissement catholique, petite fille…) arborera durant le spectacle. M’Pi et Jean-Louis s’apparente ainsi à une forme hybride et pluridisciplinaire de théâtre documentaire. On aurait envie ici de tout raconter de leur histoire, tant elle est hors du commun. Mais l’essentiel, nous l’avons déjà dit : c’est la joie et la vie qui ressortent de leur parcours de leurs propos.

Mais M’Pi et Jean-Louis, ce sont aussi des visionnaires, héritiers de la génération de Mai 68. Jean-Louis faisait partie du groupe des prêtres contestataires, ceux qui voulaient modifier les dogmes de l’Église en permettant aux religieux de se marier et d’assumer, pour nombre d’entre eux, leur homosexualité. Et si cela avait abouti, n’en seraient-ils pas plus heureux ? Et leur rôle encore mieux assumé ? Une réflexion de Jean-Louis m’a particulièrement marqué à cet égard : alors qu’il était encore ordonné, il ne voulait pas s’adresser qu’aux fidèles de l’Église. Au contraire, ce qu’il souhaitait, c’était aller au contact des gens, ceux qui font la vie quotidienne, et leur transmettre ses valeurs. Ce qu’il a d’ailleurs pu réaliser par la suite. Notamment lorsqu’il est entré à l’usine, parce qu’il fallait bien gagner sa vie. Et c’est là qu’il s’est rendu compte que les ouvriers qu’il côtoyait prônaient les mêmes valeurs que ses compagnons catholiques. Seuls les mots différaient, mais qu’importe ?

M’Pi et Jean-Louis, c’est un spectacle sur lequel il est difficile de mettre des mots, tant tout passe par l’émotion. Et l’on ne peut s’empêcher de verser une larme, ou plusieurs, face à tant d’amour, au sens large. Ces deux personnes en ont tant donné et semblent avoir encore une réserve inépuisable. Qu’il est bon d’entendre leurs mots, si simples et si vrais, pour revenir à des valeurs humaines et humanistes qu’on devrait toutes et tous véhiculer. Un spectacle qui fait un bien fou en cette période de fêtes qui arrive.

« Nous voulons de la beauté, nous avons besoin de joie. »

Merci, M’Pi et Jean-Louis, de nous redonner foi en la vie.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

M’Pi et Jean-Louis, de Charlotte Filou, du 7 au 19 décembre 2021 à La Parfumerie.

Mise en scène : Charlotte Filou

Avec Virginie Barreteau et Hugues Sanchez

https://charlottefilou.com/filou-theatre/

Photos : © Antoine Courvoisier (banner et inner 2), © Carole Parodi (inner 1)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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