Le banc : cinéma

Un jour sans fin : l’éternité, c’est long…

Sur l’idée scénaristique géniale d’un homme contraint de revivre indéfiniment la même journée, le réalisateur Harold Ramis signe l’une des meilleures comédies des années 90. Et offre à Bill Murray son plus grand rôle.

Un jour sans fin (Groundhog Day en version originale, littéralement « Le jour de la marmotte ») est un ovni dans l’univers du Septième art, au scénario d’une originalité folle et tellement improbable qu’il faut tout le talent conjugué des acteurs et du réalisateur pour qu’on y adhère.

Derrière la caméra, on retrouve donc Harold Ramis (Ghostbusters en tant qu’acteur, Mafia Blues comme réalisateur), également scénariste, mais surtout directeur d’acteurs. Et de quels acteurs : Bill Murray et Andie MacDowell !

Bill Murray trouve, avec le personnage de Phil Connors, son meilleur rôle dans une carrière qui n’en manque pas (Lost in Translation, Broken Flowers, The Grand Budapest Hotel…). Présentateur météo à Pittsburgh pour une chaîne de télé locale, il doit se rendre à Punxsutawney (Pennsylvanie) à l’occasion du « Jour de la marmotte » donc, cette fête traditionnelle au cours de laquelle on réveille une marmotte « mascotte » ; selon la légende, si cette dernière « voit son ombre », cela signifiera que l’hiver durera encore six semaines.

Aux côtés de Phil, il y a Rita (Andie MacDowell), productrice pour la même chaîne de télévision. Après Sexe, mensonges et vidéo et un an avant Quatre mariages et un enterrement, elle confirmait là son talent de comédienne. Rita est l’opposée de Phil, aussi enthousiaste qu’il est aigri, optimiste qu’il voit la vie en noir. Car Phil, la quarantaine amère, est cynique, sarcastique, hautain, méprisant, égocentrique, bref odieux.

Ned : Qu’est-ce que tu fais ce soir ?
Phil : Quelque chose d’autre.

Le 2 février, il est 6 heures du matin à Punxsutawney, c’est le jour de la fête de la Marmotte. Le réveil sonne et la radio diffuse I got you Babe de Sonny and Cher. La météo prévoit une tempête de neige pour la soirée. Phil se lève, croise un voisin de Bed and Breakfast et sa logeuse. Il sort, évite un SDF, puis tombe sur Ned Ryerson, un ancien camarade de lycée qui travaille à présent dans les assurances… C’est tout un univers que Harold Ramis développe en peu de scènes et il fait bien car cet univers, Phil va devoir le revivre éternellement.

La marmotte verra-t-elle son ombre ? Peu importe (le MacGuffin hitchcockien[1] [1] fonctionne aussi très bien dans les comédies), car ce n’est pas de six semaines de froid de plus que Phil va écoper mais d’une vie entière, toute faite d’une même répétition. Coincé dans une faille temporelle, comment le héros (et le scénariste) vont-ils s’en sortir ?

On pense à Peggy Sue s’est mariée davantage qu’à Retour vers le futur pourtant, à bien considérer Un jour sans fin, c’est plutôt Certains l’aiment chaud de Billie Wilder qu’il faudrait considérer : même rythme implacable sans temps mort, même humour plutôt subtil alors que, parallèlement, toutes les scènes sont réussies…

Déjà-vu

Coincé une nuit de plus pour cause de tempête, Phil est donc obligé de se réveiller dans la même ville de Punxsutawney le lendemain matin. Même ville, même chambre d’hôte, même heure, même programme radio (« Bravo, les gars. Vous passez la cassette de l’émission d’hier »). Et puis un doute s’immisce, Phil regarde par la fenêtre, il n’y a pas de neige alors que la veille au soir il y en avait tant que la route lui permettant de partir avait été fermée.

Incompréhension et errements, colère et frustration, désespoir… Phil va passer par tous les états du deuil. Car c’est bien le deuil de lui-même qu’il va devoir faire, de la vie qui était la sienne jusqu’alors, qui ne le satisfaisait pas mais qu’il regrette… afin de se réinventer.

Il y a du comique visuel (Phil se prend une pelle à neige sur la tête alors qu’il téléphone, sa douche n’a pas d’eau chaude…) mais c’est vraiment sur le comique de situation que Ramis joue. Un exercice d’équilibriste pour le moins risqué quand on sait que les films sont des trains qui filent dans la nuit, pour reprendre l’expression de Truffaut.

Écueil de la répétition

En effet, comment tenir cent minutes sur une idée, géniale certes, mais qui n’aurait pas dû permettre de faire davantage qu’un « court » court-métrage ? Tout le talent du réalisateur est de créer, sur cette boucle qu’est la journée sans fin de Phil Connors, d’infimes et d’infinies variations. Si le sentiment de répétition perdure, dans les faits le film ne se répète pas tant que cela. La première journée est bouclée en 18 minutes, la deuxième « première » journée en 7 minutes. À partir de là, Phil va tenter de changer son quotidien : le psychiatre qu’il consulte lui propose de le revoir « le lendemain » (c’est comme si un médecin prescrivait du Xanax à un patient ayant la phobie des palindromes). Il va s’enivrer au bowling : « Que feriez-vous si vous étiez coincés dans un endroit et que chaque jour était comme le précédent quoi que vous fassiez ? demande-t-il à d’autres piliers de bar – Ça résume bien ma vie » répond l’un d’eux.

Et puis le film délaisse la comédie pure pour prendre une tournure philosophique : sans lendemain, rien de ce que l’on ferait aujourd’hui ne pourra avoir de conséquence ! Phil va alors profiter de la situation jusqu’à avoir une connaissance parfaite de son environnement. Mais pour en faire quoi ? Le mal (voler un convoyeur de fonds afin d’assouvir ses fantasmes) ou devenir meilleur.

Au bout de 46 minutes de film, c’est discret mais un changement qui s’avérera radical se produit : le réalisateur fait revivre la même scène à Phil sans revenir au début de sa journée (le réveil à 6 heures du matin sur « I got you… ») : ainsi, Phil apprend de ses erreurs, les corrige et nous, spectateurs, voyons immédiatement l’évolution. Sauf que l’évolution n’est pas bonne car Phil apprend mais pour de mauvaises raisons (mettre Rita dans son lit, par exemple).

Les mauvaises idées de Phil (qui en sont de très bonnes, d’un point de vue scénaristique), le héros et le scénariste vont toutes les exploiter dans une tentative d’épuisement d’une situation : kidnapper la marmotte, se suicider (au moins quatre fois – sans compter les sept autres non montrées à l’écran)…

« Vous adorez la poésie française et les diamants fantaisie, vous êtes très généreuse, vous êtes gentille avec les étrangers et les enfants, et debout dans la neige vous ressemblez à un ange. »

Au moment où Phil progressera, humainement, le film se fera poétique, et même émouvant lorsque la mort s’invitera dans la comédie (l’infirmière : « Parfois les gens meurent. Phil : – Pas aujourd’hui »)

Ainsi, c’est quand il deviendra meilleur (mais de manière désintéressée), que Phil pourra s’en sortir. Pas nous, car de cette comédie absolument parfaite, on ne sort jamais totalement.

Bertrand Durovray

Références : Un jour sans fin, de Harold Ramis, avec Bill Murray, Andie MacDowell, Chris Elliott et Stephen Tonolowsky. 1993, 1 h 41.

Photos : © DR (montage : Bertrand Durovray)

[1] Il s’agit d’un prétexte scénaristique, qui importe davantage au spectateur qu’au réalisateur.

Bertrand Durovray

Diplômé en Journalisme et en Littérature moderne et comparée, il a occupé différents postes à responsabilités dans des médias transfrontaliers. Amoureux éperdu de culture (littérature, cinéma, musique), il entend partager ses passions et ses aversions avec les lecteurs de La Pépinière.

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