Les réverbères : arts vivants

N’est pas cantatrice qui veut

Sur la scène de l’Alchimic, on nous raconte l’histoire de la vraie Castafiore, ou plutôt celle qui l’a inspirée. Dans Colorature, découvrez Florence Foster Jenkins et son pianiste, ou le véritable récit d’une femme qui croyait être cantatrice. À voir encore jusqu’au 5 avril.

Florence Foster Jenkins est une riche héritière persuadée d’avoir un incroyable don pour le chant, ainsi que l’oreille absolue. Elle cherche alors un pianiste pour l’accompagner lors d’un gala qu’elle souhaite donner au Ritz Carlton de New York, où elle loge. Cette histoire, c’est Cosme, le pianiste en question, qui la raconte sur scène. Il narre leur rencontre, les galas devenus annuels au Ritz, la relation qui s’est développée entre eux, jusqu’au gala final dans l’impressionnant Carnegie Hall, devant 2800 personnes. Seulement voilà, Florence n’a pas réellement le talent qu’elle croit avoir, et Cosme s’en rend compte dès les premières notes. Si elle doit bien ses salles remplies à sa voix, c’est plus pour rire que pour admirer que le public viendra en masse…

La Castafiore, plus vraie que la vraie

Il nous faut immédiatement souligner le talent d’Agnès Bove, qui parvient à faire grincer le public à grands renforts de vibrati ratés, d’envolées lyriques ressemblant plus à une alarme qu’à la voix d’une cantatrice, ou encore de fausses notes incessantes… Et l’on se dit qu’il faut une sacrée maîtrise vocale pour parvenir à réaliser de tels exploits. Si la vraie Miss Foster Jenkins n’avait pas conscience de ses défauts, il y a fort à parier que ce n’est pas le cas de la comédienne qui l’incarne sur le plateau. On pourrait même croire que tout est exagéré, jusqu’à ce que résonne un enregistrement de la véritable Florence. On n’a alors plus de doute : l’imitation est parfaite. Et l’on comprend mieux le titre, Colorature, le chant tenant plus du raté que de la coloratura…

Les effets comiques sont donc nombreux, mais ils ne tiennent pas qu’à la voix de la chanteuse. On aurait sans doute vite fait le tour. La force de Colorature, c’est aussi de s’appuyer sur un texte plein d’ironie. Le récit étant pris en charge par Cosme, il agrémente la narration de petites remarques, d’un sens aiguisé du second degré, mais aussi de mimiques adressées au public lorsque sa comparse se met à chanter. Ou qu’elle débite des bêtises qui le font tiquer, comme quand le seul reproche qu’elle a à faire sur l’enregistrement est le son du piano…

Une histoire à deux volets

Pour autant, Colorature n’est simplement un spectacle comique dans lequel on se moquerait, comme l’a tant fait le public de l’époque, de Florence Foster Jenkins. On perçoit dans la relation de confiance qui s’est développée entre les deux protagonistes, une forme de tendresse qui rejaillit sur le public. Alors qu’il pensait ne rester que quelques semaines, Cosme nous apprend qu’il a passé 12 ans aux côtés de Florence, à la soutenir, la rassurer face à ses doutes, tenter de l’aider à améliorer sa voix, même si elle n’en faisait qu’à sa tête…

Et même au paroxysme de la catastrophe, lors du gala au Carnegie Hall, il ne l’a pas lâchée, faisant tout pour qu’elle reprenne confiance et réalise la portée de ce qu’elle venait de faire. Elle qui rêvait depuis toute petite de chanter dans une salle mythique remplie, elle l’avait fait ! La fin du spectacle, qui suit cette « grandiose » performance, ajoute la dernière touche de douceur qu’il fallait à Colorature. Sans la dévoiler, on vous dira simplement que c’est un petit bonbon pour nos oreilles, avec toute l’émotion nécessaire. Une manière de comprendre la perspective de Florence Foster Jenkins et d’entendre son rêve se réaliser avec ses oreilles à elle…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Colorature, Mrs Jenkins et son pianiste, de Stephen Temperley, traduction de Stéphane Laporte, du 21 mars au 5 avril 2023 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Agnès Boury

Avec Agnès Bove, Grégori Baquet ou Cyril Romoli, Sarah Colas

https://alchimic.ch/colorature-2/

Photo : © Théâtre Alchimic

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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