Toy Boy : Du rêve européen à la terrible réalité
Le Théâtricul accueille Fidèle Baha, pour un seul en scène, sur un texte de Jérôme Richer. Dans Toy Boy, il raconte la terrible histoire de Cyprien, venu de Côte-d’Ivoire par amour, et qui a rapidement déchanté.
Cyprien (Fidèle Baha) a invité tout le public chez lui pour partager un repas. Pendant que le riz et le tofu à la cacahuète cuisent, il nous raconte son histoire, de son enfance en Côte-d’Ivoire à son arrivée à Genève et son rêve déçu. Toy Boy, c’est une histoire vraie, que Fidèle Baha nous raconte avec la complicité du texte de Jérôme Richer. Cyprien est donc l’aîné de sa famille, un rôle très important dans sa culture profondément ancrée dans une tradition paternaliste. Il reconnaît lui-même avoir grandi comme un macho. Un jour, sur la plage, il rencontre Dora, une belle Suissesse, qu’il décrit comme une sirène avec la chevelure blonde de Rahan, l’un de ses héros d’enfance. Très vite, c’est l’amour fou et une promesse de mariage une fois arrivé en Suisse. Mais Cyprien va vite comprendre que la réalité sera toute autre…
Une histoire « banale »
Malheureusement – et c’est aussi ce qui fait la force de ce spectacle – l’histoire de Cyprien n’est pas un cas isolé. La pratique était courante parmi le groupe de copines de Dora : chacun a ramené un homme de différents pays africains. L’idylle dure le temps du visa, mais dès que l’homme n’est plus en règle avec ses papiers, tout change. Voilà donc ces femmes qui s’amusent avec eux, puis les jettent. Le titre de la pièce, Toy Boy, prend alors tout son sens. Ces hommes qu’elles ont ramenés sont de véritables jouets, des marchandises. C’est d’ailleurs ainsi qu’elles les décrivent, lorsqu’elles parlent d’eux comme s’ils n’entendaient pas et ne pouvaient pas interagir. L’histoire de Cyprien, c’est celle, terrible et vraie, de l’esclavage moderne. Et si lui a eu la chance de rencontrer des gens qui l’ont aidé, ce n’est pas le cas de tous ceux qui ont vécu la même situation…
Un récit « vivant »
Quand Cyprien raconte son histoire, c’est pourtant la bonne humeur et l’humour et qui ressortent de son discours. Il joue ainsi sur les clichés dans les deux sens : la ponctualité des blancs opposée à ce qu’il connaissait dans son pays : « Chez nous, 20h59, c’est toujours 20h ! » ; les billets que l’on ramasse sur le sol en Suisse, ce qu’il faut faire pour séduire une blanche… Beaucoup de ces éléments lui ont d’ailleurs été indiqués par le Toubaboutologue – le spécialiste des blancs – que Fidèle Baha interprète de façon magistrale. La musique qui agrémente le spectacle, « Par pour montrer que les noirs ont le rythme dans le sang, mais juste parce que j’en ai besoin », dit-il et les proverbes de son pays ajoutent à l’humour omniprésent du spectacle. On retiendra par exemple celui-ci, plus fin qu’il n’y paraît et qui sous-entend une profonde critique à l’égard de Dora : « Anus n’a pas de dents, pourtant il coupe caca ». Vous y comprendrez ce que vous voudrez…
Dans Toy Boy se développe donc une forme d’autodérision, un impressionnant recul par rapport à ce que Cyprien a vécu. Et si Fidèle Baha l’interprète aussi bien, c’est sans doute car lui aussi a eu un parcours difficile en tant que comédien. Parcours qu’il racontait magnifiquement dans Cacao, aux côtés d’Hyacinthe Zougbo. Cet humour si présent contraste avec le fond du récit, alors que Cyprien, à qui on a appris à ne jamais pleurer et à faire face à la douleur physique, découvre la souffrance du cœur, sans doute bien plus puissante.
C’est peut-être bien ce contraste, presque paradoxal, entre la bonne humeur dégagée par le personnage de Cyprien et la violence de ce qu’il raconte, qui rend le propos encore plus fort. Loin d’être larmoyant, il induit une rupture forte entre l’apparente légèreté et le moment où tout s’écroule. Cyprien se trouve alors plus dans le partage de son expérience que dans la plainte.
Alors, on ne peut que remercier Fidèle Baha, Jérôme Richer, toutes celles et ceux qui les ont accompagnés et le Théâtricul de nous faire découvrir cette réalité que l’on connaît trop peu, et qui pourtant se passe chez nous. Une preuve de plus, s’il en fallait, qu’en termes d’intégration, de tolérance de valeurs humaines, on a encore du chemin à faire…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Toy Boy, de Fidèle Baha et Jérôme Richer, du 24 mars au 2 avril 2023 au Théâtricul.
Mise en scène : Jérôme Richer
Avec Fidèle Baha
https://theatricul.net/13083-2/
Photos : © Isabelle Meister