Les réverbères : arts vivants

Alors c’est ça, la vie d’artiste ?

En tournée pour plusieurs représentations à Genève, Cacao raconte le parcours de Fidèle Baha et Hyacinthe Zougbo, de la Côte-d’Ivoire à la Suisse. Alexis Bertin, qui signe la mise en scène, aime décidément parler de parcours inspirants

« Nous sommes des Ivoiriens et nous habitons à Palézieux ! » annonce Fidèle. « Et on vient jouer pour les Genevoiriens ! » renchérit Hyacinthe. L’ambiance est rapidement posée : Cacao est placé sous le signe de la bonne humeur et de l’humour, calembours à l’appui. Et pourtant, au vu du parcours des deux comédiens, ce n’était pas gagné. Tout a commencé lorsqu’ils se sont rencontrés en Côte-d’Ivoire, leur pays d’origine. Hyacinthe, « un vieux dans le corps d’un enfant », refusera toujours de lui avouer son âge, car c’est son plus grand secret. C’est à partir de ce moment-là qu’est née leur grande amitié. Ayant fui le régime de Ouattara (ils avaient participé à la campagne de son principal rival), ils ont enchaîné les galères, au Ghana, puis au Bénin, sans jamais renoncer. C’est ce parcours qu’ils racontent dans Cacao, avec une étonnante et communicative joie de vivre.

Un parcours qui force le respect

Les deux artistes se présentent au public comme des comédiens-clowns-marionnettistes. Ils arrivent pourtant à nous sans aucun maquillage, ni marionnettes. Sur la scène, rien de plus qu’une vieille malle de l’armée contenant des draps, couvertures et autres objets, ainsi qu’un portant avec quelques chemises, pantalons et autres boubous colorés. C’est avec tous ces accessoires que les deux compères présenteront une galerie de personnages ayant croisé leur chemin : une femme qui voulait les épouser tous les deux au Bénin, Maman Nelly, ou encore Alexis Bertin, leur metteur en scène. Comme quoi, on peut créer tout un univers avec pas grand-chose ! Pendant un peu plus d’une heure, à grand renfort d’interprétations toutes plus drôles les unes que les autres, ils racontent leur fuite de Côte-d’Ivoire, l’anglais peu compréhensible du Ghana, les escroqueries administratives au Bénin, les semaines passées à dormir sur des cartons et à ramasser l’argent qu’ils trouvaient par terre pour se nourrir… jusqu’à ce festival culturel à Yaoundé, au Cameroun, auquel ils ont été invités et ont failli ne pas pouvoir participer, faute de visa. C’est là que tout s’est joué pour eux : repérés par une Suissesse, ils ont été invités à créer à Genève. Seulement voilà, les difficultés ne se sont pas arrêtées là : il a fallu s’adapter à la vie en Suisse et faire face aux problèmes de permis de travail. Maintes et maintes fois, ils auraient pu abandonner, et quand on leur demande comment ils font pour être toujours aussi positifs, ils répondent tout simplement : « Mais… c’est ça qui nous a toujours sauvés ! » Un parcours inspirant, vous disiez ?

Le choc des cultures

Outre l’histoire de leurs vies – qu’on ne pourrait s’imaginer en voyant les immenses sourires sur leurs visages – c’est aussi un hommage à la Suisse, terre d’accueil, et à leurs origines que Fidèle et Hyacinthe nous proposent. Ils nous racontent – en imitant au passage magnifiquement l’accent genevois – les surprises qu’ils ont eues à leur arrivée : pour tout, en Suisse, on donne de l’argent aux machines et pas aux êtres humains ; il faut toujours être ponctuel et on n’a jamais le temps de rien… Mais ce qui les a sans doute le plus marqué, ce sont les emballages de supermarché sur lesquels il est indiqué « viande de bœuf » ou « viande de porc ». Mais où sont les pattes et les poils, se demandent-ils ? Leur effarement devant ce qui nous semble tout à fait banal remet en question notre façon d’envisager le monde et la consommation. Pour preuve les nombreux objets dont on se débarrasse alors qu’ils fonctionnent encore… Ne seraient-ils pas en train de nous inciter, avec toute la bienveillance et l’innocence de leurs observations qui les caractérisent, à revenir à un mode de consommation plus humain, à une échelle que l’on pourrait mieux contrôler ?

À aucun moment Fidèle et Hyacinthe ne nous reprochent nos façons de faire. Loin de là : ils s’en moquent avec une incomparable gentillesse. Et même lorsqu’ils évoquent la façon dont l’Occident colonise encore l’Afrique, avec l’exemple du chocolat, il n’y a aucun ton de réprimande. Et pourtant, lorsqu’ils comparent le prix d’une tablette M-Budget à 50 centimes pour 100g  à celui du kilo de cacao acheté 1.20CHF en Côte-d’Ivoire (on comprend dès lors le titre de la pièce), on ne peut s’empêcher de se sentir coupable… Ce d’autant plus qu’ils font preuve d’une reconnaissance extrême envers ce pays qui les a accueillis, envers Maman Nelly, cette femme incroyable qui les a hébergés à leurs débuts, envers la Suisse où Fidèle a trouvé l’amour il y a sept ans maintenant.

Cacao, c’est une véritable leçon de vie et d’humanité à tous les niveaux. Malgré l’adversité, Fidèle et Hyacinthe nous encouragent à toujours positiver et continuer d’avancer. Ils nous enjoignent, peut-être, aussi à vivre tous à une échelle plus humaine et locale. Ils ne manquent pas de nous rappeler, enfin que, pour eux, Dieu n’est pas les églises ou les prières. Non, il se trouve en chaque être humain qu’il a mis sur leur route et qui les a aidés. Une belle façon de voir les choses dont nous ferions bien de nous inspirer, que l’on soit croyant ou non.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Cacao, du Collectif Puck, les 29 et 30 mai au Quartier des Auréa, le 2 juin au Point Favre, les 25 et 26 juin au TemPL’Oz Arts, et du 14 au 19 septembre 2021 à la Maison de Quartier des Pâquis.

Mise en scène : Alexis Bertin

Avec Fidèle Baha et Hyacinthe Zougbo

Photos : © Collectif Puck

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