Les réverbères : arts vivants

Un parcours inspirant

Il y a des parcours de vie, forts, engagés, qui forcent le respect et l’admiration. C’est le cas de celui de Pinar Selek, militante, sociologue et romancière turque, aux implications multiples. La compagnie de l’Ourag’enchant’é lui rendait justice cette semaine à l’Étincelle dans Parce qu’ils sont arméniens, avant, espérons-le, de pouvoir débuter une tournée en France.

Pinar Selek a commencé très tôt à militer pour soutenir les minorités et autres personnes discriminées. Célèbre aujourd’hui pour son engagement féministe, l’autrice turque installée à Nice s’est rapidement insurgée contre le traitement défavorable infligé aux Arméniens en Turquie, puis contre toute forme de domination. Arrêtée en 1998 en Turquie et accusée à tort de terrorisme, elle vit aujourd’hui en exil, loin des pressions du gouvernement turc, sans pour autant cesser son combat. Parce qu’ils sont arméniens retrace son parcours à travers sa biographie, le tout agrémenté de mélodies jouées en live, dans une émouvante mise en scène d’Alexis Bertin.

Ambiance musicale

Avant même que les mots de Pinar Selek ne résonnent, c’est la musique qui marque et touche au cœur. Mathilde Soutter, accompagnée de son violon, entonne des mélodies turques, arméniennes, grecques et kurdes, représentant toutes les parties impliquées dans l’Histoire et l’histoire. Au chant, on retrouve la violoniste du soir et Lorianne Cherpillod, qui prend également en charge le récit de Pinar Selek. Leurs voix et leur musique s’accordent parfaitement, alternant entre douceur et puissance pour conférer au spectacle toute sa dimension tragique. Même si l’on ne comprend pas les paroles de ces langues si loin de la nôtre, la musique permet de créer des images mentales sur la scène épurée de l’Étincelle, en créant une ambiance qui nous plonge en immersion dans l’histoire de Pinar Selek. Comme les mots, elle résonne pendant une heure et demie, pour accrocher le public, qui n’en perd pas une miette.

Un parcours qui force l’admiration

Parce qu’ils sont arméniens. Voilà la réponse que Pinar Selek a trop souvent entendue dans son enfance, quand sa mère pharmacienne appelait la voisine « Madame », ou quand certaines de ses camarades de classe ne pouvaient prendre les mêmes transports qu’elle. De l’incompréhension de l’enfance, Pinar Selek a su garder une innocence qui lui permet de s’insurger contre la domination abusive qui la débecte. Dès l’époque du collège, elle s’est rebellée, n’acceptant pas la diabolisation des Arméniens – le gouvernement turc est même allé jusqu’à prétendre que ce peuple n’avait jamais existé et qu’il n’était qu’un fantasme – dans le discours qu’elle entend. Elle s’est battue contre les discriminations envers les femmes en Turquie. Elle, pourtant issue de la partie musulmane de la Turquie, dans un milieu plutôt aisé, elle qui aurait pu ne rien voir de tout cela, elle a choisi de donner sa voix à la défense des discriminé·e·s, qu’iels soient arménien·ne·s, kurdes, femmes ou encore LGBT.

Son histoire est portée par un duo à la complicité rare. Outre les passages musicaux, Lorianne Cherpillod et Mathilde Soutter font preuve d’une complémentarité à toute épreuve. La première se charge de raconter, à la première personne, la vie de Pinar Selek, alors que la seconde interprète tous les personnages qui gravitent autour, de la mère pharmacienne, à l’oncle responsable d’une église, en passant par la camarade de classe, fille d’intellectuel… Une belle démonstration de sa palette de comédienne. Mais si ce duo fonctionne aussi bien, c’est aussi parce que les mots qu’elles portent sont puissants. Sans rien occulter, Parce qu’ils sont arméniens dénonce les aberrations d’un système étatique qui a voulu faire taire les voix qui s’y opposaient. Pour preuve, ce moment où elle raconte que, dans les écoles, les enfants devaient écrire des témoignages expliquant pourquoi le génocide arménien n’a jamais eu lieu. Génocide arménien dont nous avons d’ailleurs commémoré les 116 ans samedi 24 avril, jour de la dernière représentation, jour aussi où Joe Biden est devenu le premier président des États-Unis à le reconnaître. Que de symboles…

Le parcours de Pinar Selek mérite d’être connu et reconnu, tant cette femme est inspirante. Toujours accrochée à ses convictions, elle n’a jamais abandonné, même emprisonnée et torturée, quand ses amis ont été assassinés… La compagnie de l’Ourag’enchan’té ne pouvait lui rendre un plus bel hommage. En espérant que la tournée prévue en France puisse cette fois-ci avoir lieu, avec la présence de Pinar Selek. On croise les doigts !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Parce qu’ils sont arméniens, basé sur la vie de Pinar Selek, adaptée par Alexis Bertin, du 21 au 24 avril 2021 à l’Étincelle – Maison de quartier de la Jonction.

Mise en scène : Alexis Bertin

Avec Lorianne Cherpillod et Mathilde Soutter

https://www.facebook.com/events/455619268982512

Photos : © Compagnie de l’Ourag’enchant’é

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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