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Affres d’écrivain : L’instant papillon

Entre peur de la page blanche et insomnie, L’instant papillon de Sab Ri (Le Lys Bleu Éditions, 2021) nous plonge dans la rencontre entre deux êtres – un écrivain en mal d’inspiration et une comédienne qui préfère vivre la nuit. Et tout commence… par hasard.

« C’est le crépitement de la pluie qui le fait sursauter. Il a encore basculé dans le sommeil sans s’en rendre compte. Il s’ébroue, s’étire, se rajuste, sans se débarrasser tout à fait de l’engourdissement qui enveloppe ses membres. Alors, encore vacillant, il se dirige dehors. Dans un état un peu chiffonné, son esprit vagabonde sur le mystère du carnet quand il entend des pas précipités venant du trottoir d’en face. Une femme détrempée, les vêtements plaqués contre son corps, court jusqu’à l’abri de fortune. » (p. 68)

L’écrivain et la comédienne

Il s’appelle Stan. Écrivain dans l’âme, il n’a plus tracé un mot depuis que l’inspiration l’a fui – et ce ne sont pas ses désillusions avec le monde de l’édition qui vont lui remettre le pied à l’étrier. Plutôt que d’essayer de sortir de ce mutisme littéraire, Stan préfère se laisser vivre au jour le jour, se contentant d’un travail ingrat dans un hôtel (comme veilleur de nuit) et de collègues franchement peu passionnants. Sa sœur, Lydia, tente pourtant de le tirer de cette solitude, l’emmenant à des fêtes, le présentant à des femmes… peine perdue. Ce que Stan veut, c’est qu’on le laisse tranquille.

Un jour, il remet la main sur un vieux carnet : des mots s’y entassent, attendant une suite qui ne viendra jamais. Les sirènes de l’inspiration demeurant muettes, Stan jette le carnet dans la rue. Or, quelques jours après, l’objet lui est retourné…

« Là, posé en travers du clavier de l’ordinateur, le carnet bleu trône, triomphal, narquois. Son cœur tambourine, il sent la suée simultanément chaude et glacée dans son dos. En dessous de la dernière phrase de son texte, ce message tracé au crayon pour tempérer ainsi l’intrusion :

Première rencontre irrationnelle ! J’ai oublié le temps… Merci ! Où se cache la suite ? » (p. 52)

Pour Stan, c’est le choc : quelqu’un a lu son carnet ! Quelqu’un a aimé ses mots ! De brèves investigations graphologiques le portent à croire qu’il s’agit d’une femme. Qui est-elle ? Comment se nomme-t-elle ? D’où vient-elle ? Vient alors le temps de la recherche, puis de l’attente… jusqu’où jour où la mystérieuse lectrice vient à sa rencontre, un soir de pluie. Au cœur des nuits urbaines, Stan va apprendre à la connaître – elle, Sidney, ou Seed, comme elle aime qu’on la surnomme. Par quoi sont-ils réunis ? Fascination mutuelle ? Impression confuse de se comprendre au-delà des paroles ?… peut-être. Cette rencontre, en tout cas, change la vie de Stan. Même si Sidney, « la fille de la pluie » (comme il l’appelle), s’avère bien insaisissable.

Clair-obscur : de la forme et du fond

Malgré un point de départ assez clair, l’histoire de Sab Ri échappe bien souvent à celle ou celui qui tente de la lire. Car si la diégèse se déploie selon un axe apparemment simple (la rencontre de Stan avec Sidney), elle progresse, une fois que l’on s’y plonge, de manière aléatoire, presque anarchique – à la mesure des ressentis du héros, perdu dans ses doutes, ses désirs et ses désillusions. Les chapitres s’enchaînent avec rapidité, précipitant l’action par saccades (ce qui demande souvent de revenir en arrière pour vérifier un élément)… ou, au contraire, dilatant le récit au hasard des considérations intérieures de Stan. Pour être totalement honnête, malgré la proximité entre la forme du roman et l’état psychique de Stan, cette présentation m’a fait l’effet d’un patchwork éclectique qui, pour gagner en force, aurait mérité d’être davantage resserré, retravaillé dans ses transitions et dans ses phrases afin de trouver un équilibre plus serein entre rapidité et lenteur. Il me semble, de même, qu’un travail plus attentif sur le texte, de la part du Lys Bleu Éditions, aurait rendu plus grande justice à l’intrigue développée par Sab Ri, en traquant coquilles et incohérences pouvant retenir la lecture – qu’elles soient verbales, syntaxiques, orthographiques ou de ponctuation. N’allez pas croire, pour autant, que le livre ne mérite pas d’être lu ! Seulement, c’est à ce prix seulement, selon moi, que l’intrigue claire-obscure de ce roman (Sydney est-elle réelle ? ou simple fantasme de Stan ?) pourra se déployer dans toute sa complexité.

Comme l’histoire elle-même, l’écriture de Sab Ri oscille entre fulgurance lumineuse et tonalité ordinaire – comme si les doutes de Stan, sa crainte de la page blanche, son impression de ne pas être à la hauteur, contaminaient le style du roman. Ainsi, parallèlement à des dialogues qui rendent compte de la platitude du quotidien de Stan (par exemple, dans les scènes avec Lydia, qui est incapable de comprendre son frère), la narration connaît de soudaines envolées, qui relancent l’esthétique du récit :

« Alors qu’il court le long du rivage, il écoute le grondement puissant de la force marine, l’écume bouillonne en une mousse riche d’un blanc rendu aveuglant sous la luminosité d’un soleil contrarié par le bataillon de nuages, prêts à se changer en pluie à tout moment. Le flux et le reflux opèrent leur magie hypnotique, le carcan du temps éclate, les vagues bleutées aux reflets d’argent forment une forteresse, leur respiration endort ses crises, ses révoltes, ses déceptions. Tout est emporté, noyé, lesté tout au fond. » (p. 113)

Stan parviendra-t-il, finalement, à trouver sa place et à se réaliser comme écrivain ? C’est ce que suggère le dernier quart du roman, dans des pages où Sab Ri se livre à un déboulonnage en règle du monde de l’édition et de la critique littéraire : tout y passe, avec un humour désillusionné, de l’éditeur complaisant qui ne répond pas aux sollicitations à celui qui donne sur le texte en gestation des avis d’une platitude qui se veut éclairée… (J’espère, au passage, ne pas faire partie de ce triste tableau, qui m’a beaucoup fait rire !)

Au final, L’instant papillon porte plutôt bien son titre : le roman s’envole, fragile comme les ailes d’une phalène de nuit attirée par la flamme d’une bougie. Stan, heureusement, ne se brûlera pas les ailes.

À lire les soirs d’insomnie… ou les soirs de pluie.

Magali Bossi

Références : Sab Ri, L’instant papillon, Paris, Le Lys Bleu Éditions, 2021, 168p.

Photo : © Magali Bossi

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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