Les réverbères : arts vivants

Nos corps multiples

Notre naissance ne sera plus marquée par le sceau de l’irrévocable unicité. Qu’en est-il en effet de notre identité, de nos formes qui paraissent modifiables à souhait ? Des réflexions ouvertes dans Séries, au Théâtre Saint-Gervais du 30 octobre au 4 novembre 2018. 

Le regard s’ouvre sur le cœur de la forêt mouchetée de lumière, lorsque l’humus conquiert les parois internes du nez tandis que la mousse rassérène nos yeux avides de détails et d’aventure. Il y a ce quelque chose de très doux auquel on ne souhaite pas résister, ce tapis de plumes blanches, là où aimerait sommeiller notre corps. Des buttes de lierre éparses laissent place à des apparitions corporelles, des ombres de chair qui font peu à peu irruption.

Ce lent mouvement de va-et-vient s’avère être un jeu habile entre la formation et la disparition des corps, comme s’ils n’étaient jamais prêts pour éclore et sortir des plantes vertes. Ces bourgeons hésitants dévoilent des formes éphémères inconnues à nos yeux. C’est un fin apprentissage destiné à notre faculté d’observation, confrontée à la nouvelle tâche d’apprendre à observer différemment. Le corps a désormais quitté le domaine de l’immuable, on peut le transformer, le cadrer d’une nouvelle façon, s’amuser à choisir la partie bientôt mise en valeur.

La performance artistique de Cavalius s’apparente à une exposition des différentes manifestations du corps au 21e siècle. Il peut être à la fois objet de fétichisme pour ceux qui, jamais las de leur portrait, se mirent et furètent dans chaque inflexion corporelle ; il est aussi la projection d’un désir de renversement, fidèle à la nouvelle maxime de n’être jamais trop dans le confort. Il est à maquiller ou à habiller selon la tendance et l’humeur. Les trois comédiennes, Audrey Cavelius, Dominique Godderis-Chouzenoux et Teresa Vittucci, nous invitent à concevoir l’infinitude de l’enveloppe de notre âme, en y promenant leurs téléphones de long en large. C’est comme si l’on redécouvrait notre première maison et c’est un clin d’œil subtil à nos tentatives multiples de jouer avec nos portraits dans des applications high-tech qui nous transformant en petits lapins adorables ou sorcières édentées, etc. Sauf qu’ici, le soi devient poésie. Rien de tel pour soigner nos plaies et se chérir le temps d’un tour de cadran.

Des séries de photographies, prises en dehors de la pièce, mettent fin à la balade corporelle des natels curieux – qui s’étalait d’ailleurs un peu en longueur – et montrent ces trois femmes sous une lumière différente. Qu’elles soient chic et trash aux seins métalliques, ou emballée dans une peau de vache ensanglantée, on devine des identités en cheminement continuel. Ces femmes, et ce n’est certainement l’effet du hasard si elles sont là entre elles sans « ils »,  ne s’arrêtent plus à une seule et même incarnation. S’agit-il peut-être de l’idée de renouveler le spectre d’une lumière féminine, de donner au féminin sa possibilité de variations ? La métamorphose se poursuit au deuxième étage, où chaque portrait accentue l’idée d’un corps multiple, jamais plus assigné à une seule fonction.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Séries au Théâtre Saint-Gervais, du 30 au 4 novembre 2018.

Texte et mise en scène : Audrey Cavelius

Avec Audrey Cavelius, Dominique Godderis-Chouzenoux et Teresa Vittucci

https://saintgervais.ch/spectacle/series

Photos : © Julie Masson

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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