Les réverbères : arts vivants

Ollie, une jeunesse qui se trouve

La scène d’Am Stram Gram se transforme en immense skate-park, jusqu’au 17 décembre. Vingt jeunes de la troupe UMA, âgé·e·s de 13 à 18 ans, s’y croisent le temps d’un spectacle, en quête d’une place qui leur correspondrait mieux que celle qu’on tente de leur assigner.

Ollie est la narratrice du spectacle éponyme, mais c’est aussi le nom d’une figure de skate, la première qu’on apprend, et qui consiste à soulever sa planche en effectuant un petit saut, pour faire simple. Autour d’elle gravitent donc d’autres jeunes, adeptes comme elle de skate, de parkour et de danse. Accompagné·e·s du quatuor à cordes DAHM et de textes de Kae Tempest et Henri Michaux – en plus d’extraits d’interviews de skaters – iels racontent leur histoire. Cette histoire, c’est celle d’une jeunesse en quête, qu’on considère parfois comme étrange, en marge, mais qui ne demande qu’à exister. Alors qu’iels ne rentrent pas dans le moule attendu, iels expriment cet état de fait et leur volonté d’être ce qu’iels sont à travers les mots et les gestes.

Une chorégraphie qui embarque

Les mouvements de ces jeunes sont marqués les bruits de roulements de leurs planches, ces mêmes planches qui claquent sur le sol à l’atterrissage des sauts, ainsi que des corps qui glissent sur les modules après les chutes… Des sons qui contrastent avec la douceur des cordes interprétant des morceaux de Philip Glass, Tim Paris et Léo Rachado. La poésie des mots résonne ainsi de manière inattendue. La danse semble faire le lien entre ces deux pôles, en mêlant mouvements fluides et autres plus saccadés, comme une illustration de l’état intérieur des protagonistes. Iels peuvent ainsi renvoyer des images de personnes dures, renfermées, comme dans cette scène où l’un des jeunes veut essayer une figure sur un skate, mais que l’autre refuse de lui prêter le sien, avec un regard jugeant. On évoquera aussi les quelques passages en anglais, où les termes employés peuvent être grossiers, à grands renforts de « fuck ». Pourtant, iels veulent juste exister, et ne savent pas vraiment comment faire, ce qu’iels font là. Les schémas imaginés par la société ne leur permettent pas d’être tel·le·s qu’iels sont…

Une honnêteté implacable

Une des dernières tirades de Ollie, portée à cinq, a pour but de remercier le public d’être là et dit, en substance, qu’iels ne savent eux-mêmes pas ce qu’iels font là, tellement leur univers est éloigné de celui du théâtre. Ce passage particulièrement intense et vrai, durant lequel iels se livrent véritablement, éclaire tout le reste du spectacle. Alors que certaines scènes pouvaient paraître quelque peu abstraites dans un premier temps, quoique magnifiques visuellement, on comprend à ce moment-là tout ce qu’elles impliquent. Ces moments sans paroles, où la musique se mêlent aux corps, en disent en réalité bien plus qu’il n’y paraît, et racontent des moments-clé d’une jeunesse en pleine formation. On y voit les amitiés qui se font et se brisent, parfois de manière violente, les premières amours, la solitude qui peut parfois peser, la confrontation à l’échec, sous toutes ses formes, l’envie de bien faire, la solidarité incroyable dont on peut parfois faire preuve…

Tout cela se passe en à peine une heure et, dans une vie, en quelques années, peut-être cinq. Qu’est-ce, à l’échelle d’une vie ? Comme s’il fallait apprendre toutes les grandes leçons de l’existence en aussi peu de temps. Alors, on a cette impression que tout nous submerge, que tout va trop vite, on ne sait plus où donner de la tête. C’est exactement ce qui se déroule sur scène lors des scènes où tout le monde se croise : alors que l’une danse au milieu de la piste, elle est frôlée par ces deux autres qui déboulent en skate, en croisant d’autres. Celle-ci se sent oppressée, ne sait pas où se mettre pour ne pas se retrouver en danger, tandis que celui-là aimerait juste s’asseoir tranquillement et respirer… Mais tout va trop vite. Et dans ce monde en accéléré, difficile de trouver un modèle. Car Ollie raconte aussi cela, à travers certaines scènes : des membres du groupe qui semblent avoir réussi, assumé ce qu’iels sont et, d’une certaine manière, trouvé leur place, provoquant l’admiration des autres. Mais rien n’est facile. On se dit toutefois, à la fin du spectacle, alors que le public est debout pour ovationner cette fantastique équipe, que leur recherche n’a pas été vaine, et qu’ils ont sans doute trouvé quelques réponses à travers ce moment magique.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Ollie, une chorégraphie théâtrale de Nicolas Musin, la troupe UMA et du quatuor à cordes DAHM, du 2 au 17 décembre 2023 au Théâtre Am Stram Gram.

Dramaturgie : Nicolas Musin et Mathilde Soutter

Musique : Philip Glass, Tim Paris et Léo Rachado

Textes : Kae Tempest, Henri Michaux et extraits d’interviews de skateurs

Chorégraphie : Nicolas Musin et la troupe UMA

Lumière : Jean-Marc Skatchko

Avec Anh-Ly Rivet, Tianée Achille, Alexandra Prieur-Drevon, Norine Botella, Geena Théraulaz, Merit Laengner, Jessica Wyttenbach, Zoe Salvalai, Luna Traullé, Matylda Pioro, Sara Pocan, Adrianna Fimeyer, Ainhoa Otero, Hugo Flé, Kevin Bringolf, Noé Lüthi, Liam Litardo, Benjamin Penela Antunes, Tiago Tomaz, Swan Ducrot-Lelong, Aristide Guisolan, Florian Maillet De Viti, et le Quatuor à cordes DAHM – Lois Decloître, Émilie Weibel, Sofia Lluna, Nandingua Bayarbaatar (violon, en alternance), Julie Voisin-Banasiak, Juliette Kowalski (altos, en alternance), Joséphine Dive (violoncelle)

Régie lumière : Rémi Furrer

Régie son : Léo Marussich, Jean Faravel

Régie plateau : Julien Taplain et François-Xavier Thien (en alternance)

https://www.amstramgram.ch/fr/programme/ollie

Photos : © Ariane Catton Balabeau

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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