Le banc : cinéma

Omerta généralisée dans Les algues vertes

Adapté de la bande dessinée d’Inès Léraud et Pierre Van Hove, elle-même tirée de l’enquête journalistique d’Inès Léraud, Les algues vertes de Pierre Jolivet met en avant le scandale qui a touché la Bretagne, le silence qui l’entoure, en évoquant le problème profond et dramatique de l’agriculture française.

Après plusieurs morts suspectes en Bretagne – 36 sangliers et plusieurs êtres humains – Inès Léraud (Céline Sallette), journaliste indépendante décide de s’installer dans la région pour plusieurs mois afin d’enquêter, dans le cadre de ses Chroniques bretonnes. Tous ces décès semblent avoir en commun un seul et même phénomène : les algues vertes. Lorsque ces dernières se décomposent à l’air libre, elles dégagent du sulfure d’hydrogène (H2S), un gaz hautement toxique, incolore et dont l’odeur ressemble à celle de l’œuf pourri. Le premier mort, Thierry Morfoisse, était chauffeur routier et transportait justement des algues vertes lorsqu’il est subitement décédé au volant de son camion. Les 36 sangliers creusaient un sol où étaient apparemment enfouies ces mêmes algues vertes. Quant au joggeur qui courait après son chien, il a été retrouvé précisément au même endroit que les sangliers quelque temps auparavant, mais le gouvernement assure que les algues vertes ont été enlevées ou sont trop enfouies dans le sol pour être responsables de cette mort. Un silence général règne donc autour du phénomène, qui n’a jamais été officiellement mis en cause pour expliquer ces décès. Inès Léraud tente donc de délier les langues et de tirer la vérité au clair, tout en devant faire face à de nombreuses pressions.

Omerta et manipulation

C’est donc à une véritable loi du silence que fait face Inès. Son premier appel avec le service communication de la préfecture des Côtes d’Armor, qui marque le début de son enquête, autour des 36 sangliers morts, débouche sur un refus total de réponse. Le responsable menace même de l’attaquer en diffamation si son nom sort dans la presse. Suspect, n’est-ce pas ? À son arrivée en Bretagne, elle rencontre un agriculteur dans un café. Ce dernier mentionne un ingénieur qui aurait prouvé que le développement des algues vertes est dû aux stations d’épuration, et qu’en aucun cas l’agriculture ne peut être tenue pour responsable. Sauf qu’on apprendra un peu plus tard que les recherches de cet ingénieur sont financées par des sociétés agro-alimentaires. Son impartialité peut ainsi être mise en doute. On n’oubliera pas non plus de mentionner les menaces des paysans : alors qu’elle cherche à en interroger un, celui-ci se braque et la menace de la tuer avec la pelle qu’il tient dans les mains. On perçoit alors sa détresse, lui qui « bosse et ne passe pas la journée avec un micro ». Le mal semble bien profond…

Pour étayer son investigation, Inès rencontre André Ollivro (Pasquale d’Inca), un scientifique indépendant qui travaille depuis de nombreuses années sur les algues vertes, multipliant les relevés et tentent d’interpeller les députés de la région et les journalistes sur le phénomène. Mais ses nombreux résultats ne sont pas du goût de tout le monde, et les paysans multiplient les intimidations : lorsqu’Inès débarque chez lui la première fois, un énorme tas de fumier trône devant son allée… Le silence est général, et jusqu’ici, les seuls éléments ayant pu sortir dans la presse font face à des coupures de subvention pour les radios régionales. Comme le dit si bien Inès lors de sa conversation avec Morgan Large (Clémentine Poidatz), une journaliste spécialisée dans l’agro-alimentaire, évoquant le grand reporter Daniel Mermet :

« Les journalistes nationaux ne savent rien mais peuvent tout dire, et les journalistes régionaux savent tout, mais ne peuvent rien dire. »

Il faut alors se tourner vers les familles des victimes, jusqu’ici plutôt réticentes à être interrogées, par peur d’un journalisme sensationnaliste qui ne voudrait que créer le buzz. Inès parvient toutefois à questionner la famille Morfoisse, qui évoque les silences autour du dossier, l’absence de réponse à leurs questions et une vérité qui leur manque. Tout ceci est d’ailleurs confirmé par l’entretien avec le député régional en charge de l’environnement (Jonathan Lambert), qui s’interroge sur la réponse du gouvernement à l’analyse de la seconde poche de sang prélevée sur Thierry Morfoisse, comme il est de coutume de le faire lors d’un accident de la route. Alors que la première poche n’avait révélé aucun taux d’alcoolémie, la seconde, suite à la contre-expertise demandée par la famille, présentait un taux particulièrement élevé de H2S. Ce à quoi le gouvernement répond qu’elle a été contaminée et n’est donc pas valable. Une belle manœuvre pour botter en touche. Le député, après qu’Inès lui a garanti l’anonymat, lui explique la dimension politique de l’affaire :

« Tout le monde a peur dans cette affaire. Les algues vertes, c’est un véritable fléau pour la Bretagne. […] Un décès humain dû aux algues vertes, ça aurait des conséquences dramatiques sur le tourisme évidemment, donc l’immobilier, mais plus généralement sur le modèle agricole qu’on développe en Bretagne. Et oui, c’est hautement politique tout ça. »

Un film didactique

Certaines critiques – de loin pas la majorité – ont reproché au film de Pierre Jolivet sa dimension trop didactique, soulignant qu’un documentaire aurait sans doute été plus pertinent, au vu de l’absence de mise en scène dans Les algues vertes. C’est justement cette dimension qu’on apprécie : rien n’est trop romancé. Le film montre l’enquête, en tentant de comprendre les points de vue. L’histoire d’amour qu’Inès vit avec sa compagne Judith (Nina Meurisse) n’est là que pour illustrer le soutien dont la journaliste a besoin pour faire face à cette investigation si complexe et aux pressions dont elle est victime. Sans en faire trop, Pierre Jolivet trouve un juste équilibre entre ces différents aspects.

Revenons-en également aux paysans. Dans le portrait qui en a été fait jusque-là, et que l’on voit dans la première partie du film, ils semblent être dépeints comme agressifs, pas ouverts au dialogue avec la journaliste, dont les conclusions pourraient mettre en péril leur métier. Pourtant, on perçoit un certain mal-être de leur part. La dimension politique évoquée par le député nous éclaire sur ce point : les paysans sont victimes des choix du gouvernement et de la communication de celui-ci. Quand certains commencent à comprendre la manipulation qu’il y a derrière toute cette histoire, et qui les dépasse, les langues commencent à se délier. On comprend alors que le problème est bien plus large et que la France s’est engluée dans une véritable guerre économique, dont les paysans sont les premières victimes. Il faut à tout prix rester compétitif avec l’étranger. Ainsi, au lieu de préserver le côté naturel de l’agriculture, le gouvernement pousse à l’industrialisation. Un problème qui résonne beaucoup avec l’actualité de ces derniers mois, et le débarquement des agriculteurs en nombre à Paris, notamment. Le cycle est infini : si on soutenait l’agriculture biologique et respectueuse de l’environnement, on améliorerait sans doute la qualité de vie de ces gens, mais aussi celle de leurs produites. Oui mais… Tout cela a un coût élevé ! En poussant à l’industrialisation, on demeure compétitif, malgré les conséquences environnementales et, à terme, sur la santé. Les agriculteurs, et les hauts responsables, sont ainsi acculés, et opter pour une forme de décroissance s’avère bien compliqué. Quelle option choisir, dès lors ? Beaucoup d’éléments apportent une grande complexité à la situation, et bien malin est celui qui pourra y apporter une réponse optimale.

Le film de Pierre Jolivet, et l’enquête d’Inès Léraud n’apportent ainsi pas de réponse claire au débat – il faudrait bien plus qu’un film d’1h45 pour y parvenir. Il invite plutôt à la justice, pour les familles des victimes, en développement la dimension du respect de la vie humaine, avec une vérité à trouver pour qu’ils puissent vivre en paix. Mais, nous l’avons dit, les morts ne sont pas les seules victimes dans cette affaire, et c’est un problème bien plus profond qui est soulevé à travers Les algues vertes

Fabien Imhof

Référence :

Les algues vertes, réalisé par Pierre Jolivet, France, 2023.

Avec Céline Sallette, Nina Meurisse, Julie Ferrier, Pasquale d’Inca, Clémentine Poidatz, Jonathan Lambert, Adrien Jolivet, Eric Cambernous…

Photos : © DR

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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