Pacotille, c’est loin d’être de la camelote
Pour son anniversaire, Loraine Félix a reçu un joli cadeau : la scène du Silo du Lac pour partager les chansons de son dernier album Pacotille. En complicité avec ses deux musiciens, elle nous a offert une heure de poésie musicale qui fait du bien alors même que les sujets de société de ses chansons ne sont la plupart du temps pas vraiment rigolos.
Lorsqu’elle arrive sur scène, on a l’agréable sensation de retrouver une bonne copine qui sait aborder avec douceur des sujets durs. Dès qu’elle chante, Loraine Félix nous prend par la main pour nous emmener dans un voyage qui oscille sans cesse entre gravité et légèreté. Si sa voix est une caresse immédiate et continue, la réussite de l’ensemble doit aussi beaucoup à l’inusable multi-instrumentiste Timothée Haller ainsi qu’au magicien des quatre ou six cordes, Germain Umdenstock.
Autant de prénoms ouvre le bal. C’est un morceau qui donne le ton entre mélancolie et souvenirs heureux. On sent qu’il y a des murs porteurs dans cette liste de noms qu’elle épèle sur une mélodie au piano aussi simple qu’efficace.
Un pied devant l’autre nous projette dans l’histoire de l’exode d’une mère fuyant la guerre et portant son enfant dans le dos. On est alors plongé de plain-pied dans ces thématiques universelles que Loraine Félix sait traiter sans pathos. Cela continue avec Mon gamin qui aborde la question de l’enfant différent, un peu comme ceux dont la chanteuse s’occupe dans son travail d’éducatrice sociale en milieu spécialisé.
Le temps de se revoir parle des années qui filent et de toutes les « bonnes » raisons pour oublier d’entretenir nos amitiés. Mais quand la vie de l’autre s’arrête plus vite que prévu, il ne reste que quelques bouquets de fleurs et paquets de mouchoirs… Et si nous prenions notre téléphone pour rappeler ce vieux copain qu’on n’a plus vu depuis si longtemps ?
Autre grand sujet de société abordé avec Laïc. Né pendant sa formation de travailleuse sociale, le texte amène avec finesse son point de vue sur nos sociétés qui ne veulent pas de dieux publics alors que toute notre culture est pourtant intriquée dans des racines religieuses : la nourriture, les guerres, la mort, les naissances, l’école, … tout est influencé par les croyances.
Y compris la manière de s’habiller quand on est une fille et qu’on ose porter autre chose qu’un pantalon. Alors certains la font passer pour une aguicheuse et elle finira par avoir trop de regrets pour une jupe. Une chanson implacable tout à fait indispensable pour alimenter notre période post me too.
Pour alléger l’ambiance, Loraine Félix a choisi de meubler ses transitions avec quelques gags potaches sous la forme de Monsieur et Madame Oukoi ont deux fils, comment s’appellent-ils ? Ted et Bill… Est-ce vraiment nécessaire ? Chacun·e son avis sur la question, l’humour étant un métier au même titre que la chanson.
Sur une superbe mélodie de guitare, on retrouve la profondeur des réflexions existentielles dans L’amour en hiver. Subtil exercice d’équilibriste que celui de se remettre en question au milieu du gué de la vie, entre espoirs déçus et à venir : Comment se nomme l’envie de tout effacer d’un grand coup de gomme ?
S’en suit une crise de couple sublimée dans J’t’aime pas toujours, ode rythmée, décalée et rigolote d’une vie à deux qui voit passer les lancers de tupperware moins dangereux que de se balancer des assiettes… en attendant de se rabibocher pour se rendre compte qu’il n’y a pas de honte aux bémols et que son conjoint c’est quelqu’un qu’on connaît bien et qu’on aime quand même. Joie.
Le temps passe. On a trente ans puis quarante puis… Et on passe la même soirée… avec les mêmes verres, les mêmes gags, les mêmes madeleines de Proust, les mêmes lendemains d’hier. On est bien ensemble, l’horloge semble s’être arrêtée dans l’intimité de ce qui est échangé. C’est tout à fait ce qu’on peut ressentir en revenant depuis plus de quinze ans aux concerts d’une certaine chanteuse romande qui a remporté le prix du public à la Médaille d’or de la chanson 2023.
Dans une chanson inédite nommée Celle que j’étais hier, Loraine Félix aborde le courage qu’il faut à une femme pour quitter sa routine et se réinventer dans le dénuement et la liberté. Un ange passe. C’est magnifique de résonance.
Après un chouette duo avec le talentueux Timothée Haller sur Ce que j’en dis, elle revient aux sources avec le succès Dimanche inclus dans son premier album Mine de rien. Cette chanson, qui aborde avec beaucoup d’humour les lendemains de fête dans les années 2000, a bénéficié d’une réécriture sérieuse pour intégrer les codes de 2025. Apparaissent ainsi Netflix, Spotify, l’arrivée des enfants et les dimanches au foot.
Le concert se finit avec le superbe et délicat Pacotille, morceau qui a donné son titre au dernier album et qui permet de se rêver colibri face à l’incendie. À n’en point douter Loraine Félix fait partie de cette grande famille de petits oiseaux qui pensent à juste titre que seule la poésie pourra sauver le monde.
Stéphane Michaud
Infos pratiques :
Loraine Félix en concert au théâtre du Silo du Lac le vendredi 7 février 2025
Avec Loraine Félix, Timothée Haller et Germain Umdenstock.
Photos : © Stéphane Michaud