Les réverbères : arts vivants

Paradiso : projeter sa vie comme au cinéma

Au Théâtre des Grottes, Luca Leone lie deux éléments importants à ses yeux : le cinéma et l’Italie. Avec Paradiso, il propose un spectacle sur sa vie intérieure, où l’humour et l’émotion se mêlent pour projeter ses souvenirs, ses rêves et ses angoisses. À voir jusqu’au 3 mars.

Tout commence dans une salle de cinéma, le Paradiso, juste avant le drame : alors que des popcorns s’apprêtent à être renversé, le temps et l’image s’arrêtent. Le récit à quatre voix commence alors. Les comédien·ne·s présent·e·s sur la scène (Flavio Dias, Catherine Papa Onori, Nora Coeytaux et Luca Leone) incarnent tous « Moi », ce garçon qui racontera sa vie intérieure à travers plusieurs tableaux. On y rencontre son monde intérieur, ses souvenirs parfois embellis, les rapports avec sa famille, ses angoisses aussi… Il y a cette grand-mère qui perd la mémoire, ce père qui ne peut pas dormir en Italie si un lézard se promène dans la chambre. « Moi » y raconte ses amours aussi, avec les rendez-vous, les doutes sur le fait d’être amoureux et cette volonté d’un amour réciproque comme objectif dans sa vie. Bref, Paradiso, c’est un parcours dans l’esprit de Luca Leone et de ce personnage qu’il nous présente sur la scène du Théâtre des Grottes.

Comme au cinéma

Pour raconter ce monde intérieur, Luca Leone part donc d’un cinéma, un domaine auquel il emprunte de nombreux éléments. Et pour cause : il l’étudie à l’université. Pour narrer cette histoire, les éléments principaux du décor sont deux rangées de sièges rouges et une toile de projection. On y voit les intertitres, les nombres chapitres, un générique qui défile, et quelques images de film, comme ces images de baisers emblématiques lorsqu’il est question d’amour. Dans toutes les scènes, une attention toute particulière est également portée aux jeux d’ombres et de lumières : des silhouettes apparaissent en noir derrière la toile, permettant de jouer sur les tailles et sur des dimensions plus suggestives, sans tout montrer. L’éclairage se veut parfois plus ténu, à l’aide de chandelle, quand la scène est romantique ou que l’ambiance se veut plus mystérieuse… À cet égard, les voix off que l’on entend régulièrement rappellent elle aussi le cinéma et permettent de décrire, tout en gardant un certain décalage, ce qui se passe dans la tête des personnages, parfois loin de l’action effectuée. Le lien avec le célèbre Cinéma Paradiso, dont Luca Leone s’inspire sans nul doute, devient alors évident !

Bien sûr, il n’y a pas que la technique qui rappelle le cinéma. Les allusions à des classiques sont également nombreuses. La liste, que l’on peut voir dans le générique de fin, est immense ! Encore une fois, les moyens employés pour évoquer ces films sont légion : projection d’images sur la toile, mais aussi musiques emblématiques, voire même la manière dont certaines scènes sont imaginées. On évoquera le repas romantique, avec ce partage d’une assiette de spaghetti. La Belle et le Clochard nous arrive immédiatement en tête. Certaines répliques sont elles aussi tirées de films. Le moment le plus marquant de ce point de vue restant sans doute l’utilisation de chansons de Disney, dont certaines paroles sont récitées, pour évoquer le rêve d’une relation amoureuse comme dans les films.

Projeter sa vie

Tous ces choix ne sont évidemment pas gratuits et rien n’est amené par hasard. Ce qui se joue sur scène, c’est bien la projection d’un monde intérieur. Le texte du spectacle se base sur des éléments écrits par Luca Leone depuis quelques années : souvenirs, fantasmes, rêves, mais aussi angoisses… Il y est question, on l’aura compris, d’amour, mais pas uniquement : une grande attention est portée aux yeux et au regard, avec cette peur, un jour, de ne plus rien y voir, alors que la vue du personnage se détériore. Il y a, dans Paradiso, quelque chose d’onirique, avec un sens qui ne nous parvient pas immédiatement. Le début de la pièce paraît d’ailleurs décousu, mais, petit à petit, les morceaux se recollent, et l’histoire qui se déroule sous nos eux prend tout son sens.

En utilisant l’humour et l’émotion constamment, avec un jeu subtilement équilibré entre les deux, la mise en scène de Luca Leone parvient à surprendre. Paradiso n’est pas un texte qui passe par notre intellect : il fait appel, comme le propos du spectacle, à nos ressentis intérieurs. Voilà qui permet de toucher le public à différents moments, de raccrocher à notre propre histoire et d’être ému·e par certains moments, tandis que d’autres demeurent plus hermétiques. Mais qu’importe, car chacun·e sera atteint·e par un élément différent, surpris par telle ou telle réplique. Et c’est à nous de nous faire notre propre interprétation, à travers les liens que nous tissons à l’intérieur.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Paradiso, de Luca Leone, du 1er au 3 mars 2024 au Théâtre des Grottes.

Mise en scène : Luca Leone

Avec Flavio Dias, Catherine Papa Onori, Nora Coeytaux et Luca Leone

https://www.geneve.ch/agenda/paradiso

Photos : © Cambyse Tabatabay

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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