Les réverbères : arts vivants

Pas si pourri que cela

Pourritures : Un spectacle en répétition à la Parfumerie jusqu’au moment où les théâtres pourront rouvrir, par la compagnie : Je sais que ma mère elle aimera pas.

Cette maladie marquera l’histoire du théâtre et celui-ci saura s’en souvenir quand il présentera des pièces ayant le Covid et sa période comme sujet. Quoi qu’il en soit, à ce jour, les arts de la scène ne sont pas un monde englouti. Les artistes, qu’ils soient sur les planches ou en coulisses se réunissent, travaillent, répètent sur scène car seule la salle est suspendue et contre vents et marées la compagnie : Je sais que ma mère elle aimera pas, présente son spectacle en répétition telle une représentation.

Le spectacle est inventif. Pas si simple que de trouver une nouvelle dualité dans le monde des clowns. L’affiche présente de nouveaux duettistes, deux gros nez contemporains qui pourraient être définis ainsi :  l’Étonné (Sébastien Olivier) et l’Étonnante (Sara Uslu). Une création de nouveaux archétypes réussie qui bascule entre la surprise et l’étrange et qui sont au service : « d’un grand projet, d’une tonne de rêves pour deux tonnes de désillusion. »

Le décor constitué de cartons vides laisse à penser qu’on assiste à une bascule entre deux mondes. Impossible de savoir s’ils sont en attente d’être remplis ou d’être débarrassés. De cet amas s’extrait l’Étonné, un être sublunaire qui fixe l’incipit du spectacle : « Ça y est, c’est la fin ! »

Contemporain certes, mais inscrit dans la tradition des clowns, l’Étonné projette d’interpréter une chanson au public, absent donc. Tout l’art consistera à s’extraire de toutes les contraintes et autres catastrophes pour atteindre son but. Le projet est audacieux, l’Étonné se lance telle une vedette dans « L’air du Génie du froid » de Frank Purcell, un extrait de l’opéra King Arthur » qui nous rappelle la version de Klaus Nomi. Un choix judicieux tant le froid se situe aux extrémités des choses : celles d’avant le mur de Planck ou celles du néant futur. On le sent, sur scène, la seconde proposition est choisie, c’est bien la fin d’un monde qui s’annonce. L’Étonné se démène avec son falot, son dernier point de lumière et nous présente la tonne de cartons comme étant la continuité de sa personne, son territoire. L’interprétation est fine et juste. Le clown gagne sur toute tentative de réduire l’Étonné à un être atteint d’Asperger.

Ce territoire, il le défend avec force quand l’Étonnante débarque. Elément déclencheur des catastrophes annoncées, ce personnage, magnifiquement interprété, se présente comme une cousette perdue qui traîne en laisse le poids de son passé. Dès lors, le conflit s’installe. Sous l’influence de l’Étonnante, le burlesque prend de l’ampleur. Tout s’accélère et tout s’écroule. Les ressorts du comique se détendent avec le très joli jeu du cadeau qu’elle offre et qu’il reprend. Un moment sensible.

Ce qui devait arriver arrive. La tonne de cartons s’écroule. De ces gravats de cellulose s’extraient de magnifiques jeux de scène tel celui du voile. C’est aérien, élégant, surprenant. Plus surprenant encore, un assemblage de deux éléments disparates qui deviennent un instrument de musique – ce complément indispensable aux clowneries. La chanson prévue va avoir lieu. Après une heure de conflits, de dissonances, de chaos, l’harmonie tente de s’installer. L’Étonné joue de son instrument… mais l’harmonie ne vient pas, le froid va gagner.

Le tryptique annoncé : humour, amour, mort, se vérifie. Le vase de Pandora est désormais vide, l’espoir a déserté les planches comme le public les fauteuils.

La fin approche. L’Étonné prend la porte, l’Étonnante le suit. Ils sortent tous deux dans le noir – ce compagnon du froid – cet autre couple qui nous attend tous une fois que la déformation du temps et de l’espace en aura terminé avec tout un chacun.

Qu’importe notre fin, ce spectacle profite d’un très beau jeu de scène dominé par Sara Uslu : fine, émouvante et étonnante.

                                                                                                                      Jacques Sallin

Infos pratiques :

Pourritures, création collective en répétition à la Parfumerie jusqu’à ce que les théâtres puissent rouvrir.

Mise en scène : Alexandra Gentile

Avec Sébastien Olivier et Sara Uslu

Création lumière : Benjamin Deferne

http://www.ma-mere-aimera-pas.com/

Photo : ©Sophie Le Meillour

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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