Performance cavalière à l’Hôtel de Ville
Reportée d’un an suite aux travaux dans la cour de l’Hôtel de Ville, la performance de Davide-Christelle Sanvee, Face de pierre, a pu se tenir cette année dans le cadre de La Bâtie – Festival de Genève. Une chorégraphie équestre qui met Genève face à nombre de ses paradoxes.
En entrant dans la cour, on est d’abord surpris d’apercevoir des têtes de chevaux dans les arcades normalement vides qui constituent les lieux. La cour, elle, est drapée de rouge. Davide-Christelle Sanvee descend alors les escaliers, déguisée en cheval – elle en a la tête et les sabots – et c’est là que tout commence. « Réveiller les génies des lieux. », c’est en cela que constitue son travail, qui lui a notamment valu le prix suisse de la performance en 2019. À travers eux, elle questionne la capacité d’intégration et les rapports de force qui s’induisent dans la cité de Calvin.
Davide-Christelle Sanvee / Face de pierre (Création La Bâtie 2023) from La Bâtie-Festival de Genève on Vimeo.
Pourquoi le cheval, me direz-vous ? Cela peut en effet paraître déroutant de prime abord. Pourtant, lorsqu’on sait que les lieux ont à l’origine été créés pour des cavaliers et leur monture, d’où l’énorme rampe sous les arcades, cela commence à faire sens. Voilà donc Davide-Christelle Sanvee qui prend la parole en leur nom, évoquant la façon dont les a domestiqués, de manière noble au départ, en vantant leurs qualités et leur utilité pour la société. Bien vite, pourtant, les choses ont changé, et les chevaux sont aussi devenus consommables… Le rapport de force a été modifié et les promesses de départ n’ont pas été tenues. Cela ne nous rappellerait-il pas une autre situation ?
Lorsque Davide-Christelle Sanvee parle de Genève, elle évoque « cette ville qui [l]’a adoptée comme elle pouvait », elle qui n’est pas née ici. Premier élément de réponse ici. Dans Face de pierre, les différentes parties s’enchaînent sans toujours de lien apparent. Il est du moins difficile à déceler dans un premier temps. Il est question d’enlever le blanc, couleur de la domination, du drapeau suisse pour ne laisser que le rouge, symbole du sang. Elle évoque aussi des conversations entre voisins, où le statut d’immigré vient bouleverses les rapports de force. Il est encore question de réflexions déplacées. Sans qu’elle ne dise clairement de qui elles viennent, on entend tou·te·s cet homme à la virilité excessive qui prend toute femme de haut en étant persuadé de savoir mieux qu’elle, répétant inlassablement qu’il va « lui expliquer », parce lui, il sait… Tout est ainsi amené, et c’est là aussi tout le paradoxe de l’écriture de ce spectacle, à la fois de manière subtile, mais aussi avec de gros sabots, si vous me passez l’expression.
Face de pierre se révèle ainsi être un moment surprenant où le sujet de départ glisse rapidement vers d’autres thématiques, très actuelles. C’est donc la symbolique qu’on retient de ce spectacle. Il y a bien sûr, d’abord, ce rapport entre les hommes et les chevaux, inspiré par l’histoire des lieux. On pense ensuite à ce blason, qui dit « Aime ton pays. », et alors la réflexion se déplace. Quand on se rappelle ensuite que c’est dans ces murs que siège le Grand Conseil, là où les décisions importantes sont prises, cela ne fait que nous confirmer qu’il n’est pas question que de chevaux. Dès lors, Genève – et la Suisse, pourrait-on dire, au vu du drapeau évoqué – se retrouve face à ses paradoxes : terre d’accueil avec une volonté d’intégration mais qui rappelle sans cesse le statut d’immigré, de réfugié, de sans-papier, ou que sais-je encore, à son interlocuteur. Il y a aussi la dimension féministe de la réflexion, avec ce désir affiché d’égalité, mais qui, dans les faits, est encore bien loin d’être atteinte…
Sans jamais y aller frontalement, Davide-Christelle Sanvee évoque ainsi, à travers cette performance, les difficultés auxquelles elle a dû – et doit encore aujourd’hui – faire face. Sans oublier la dimension politique, qu’elle ne nomme pas ouvertement, mais sur laquelle on comprend aisément les piques. Le tout est amené de manière très symbolique, comme dans cette scène lors de laquelle elle escalade – littéralement – la façade aux arcades, comme pour nous dire que son parcours a été difficile, escarpé et semé d’embûche, avant de s’écrier, une fois arrivée en haut « Je l’ai fait ! », déclenchant les applaudissement nourris du public. On ne détaillera pas ici l’une des dernières scènes, qui se répète trois fois comme une boucle. Dans ce presque dernier moment, il est question de mort, qui revient encore et encore de la même manière, comme si on n’avait pas appris de nos erreurs et que l’histoire recommençait sans cesse…
Il y aurait encore tant et tant à dire, chaque scène pouvant être analysée dans son entier. Au final, c’est la succession de ces dernières, les liens qui se tissent petit à petit à travers la symbolique, qui font de Face de pierre un spectacle fort, à la réflexion intense. La standing ovation est bien méritée, même si l’on reste un peu sur notre faim, de ne pas avoir totalement saisi la fin…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Face de pierre, de Davide-Christelle Sanvee, dans la cour de l’Hôtel de Ville, dans le cadre de La Bâtie-Festival de Genève, du 7 au 10 septembre 2023.
Conception : Davide-Christelle Sanvee
Avec Davide-Christelle Sanvee
https://www.batie.ch/fr/programme/sanvee-davide-christelle
Photos : © Fabien Imhof (cour de l’Hôtel de Ville) et La Bâtie (portrait de Davide-Christelle Sanvee)