Les réverbères : arts vivants

Quand Broadway rencontre James Bond, à la sauce helvétique

À l’occasion de l’inauguration de la Salle Ernest Ansermet, la Compagnie Confiture s’associe à Cap 10 et à l’EMA (École des musiques actuelles) pour présenter une drôle de comédie musicale, sur fond de contre-espionnage à la Suisse ! À voir jusqu’au 28 avril.

Antoine Courvoisier, en professeur d’histoire et narrateur nous annonce en préambule que l’histoire que l’on connaît n’est pas la vraie. Écrite par les vainqueurs, elle occulte tout un pan de la vérité. Grâce à un ingénieux système basé sur le son du cor des Alpes, il efface notre mémoire pour nous embarquer dans une autre version de l’histoire. La Suisse est devenue, suite à une votation, un régime communiste. Désormais entourée d’un mur fermant toute frontière, la Suisse est complètement hermétique à l’influence du monde capitaliste. Cela dit, la situation ne convient pas à certain·e·s, bien que la décision ait été prise de manière démocratique. Le contre-espionnage helvétique, nommé P26, en hommage au 26 cantons, fait tout pour renverser le pouvoir en place en s’immisçant à l’intérieur même de celui-ci. Mais le gouvernement n’est pas dupe et tentera, pendant de longues années, de faire taire le meilleur agent de la P26. Qui sortira vainqueur de cet affrontement à la James Bond, inconnu du grand public ?

Des références suisses à la pelle

Dans cette histoire, beaucoup de personnages gravitent. Aussi, on apprécie la présentation faite par le narrateur au début du spectacle : le conseiller fédéral dont on ne compte plus le nombre de fois où il a changé de parti, le leader du parti communiste à l’ego démesuré, l’espionne qui fait du changement de costumes une passion, le meilleur agent de la P26 aux origines italiennes, un étrange chef de la police secrète déguisé en leader de secte, ou encore la petite amie de l’agent secret qui ne parvient pas à lui faire comprendre qu’elle est enceinte… Il n’en fallait pas moins pour insérer un nombre incalculable de références toutes plus helvètes les unes que les autres. On retrouve alors ce côté ancré dans l’actualité suisse – ou son passé ici – qui nous fait tant apprécier l’univers de la Compagnie Confiture. Pour n’en citer qu’une partie, on évoquera le couteau suisse qui remplace le bras du méchant, une jolie allusion à certains ennemis emblématiques de James Bond, remixé à la Suisse ; l’utilisation de l’Ovomaltine « ça va pas mieux… mais plus longtemps ! », la présence de l’armée suisse et sa neutralité ; le politicien qui change plus souvent de parti que de chemise…

Le tout est mêlé à des références plus internationales, qui constituent sans doute l’une des grandes forces de ce spectacle. On apprécie les références à James Bond, notamment lors d’un des premiers dialogues dans lequel se cachent de nombreux titres de ses aventures (Au service secret de Sa Majesté, bien évidemment, qui donne son nom au spectacle, mais aussi Bons baiser de Russie ou encore Rien que pour vos yeux…), dont certaines nous ont sans doute échappé, au vu de la richesse du texte ! On évoquera également les allusions à nos voisins italiens et français et la peur que certains ont d’eux (quel affront d’apprendre que notre meilleur espion est italien à la base !), ou l’utilisation de mots différents de notre jargon… Le tout crée un spectacle haut en couleurs, avec beaucoup d’humour, comme Gaspard Boesch et Philippe Cohen savent si bien le faire. On n’oubliera pas de souligner également les quelques allusions à des réflexions plus engagées, en soulignant l’opposition entre les années 80 dans lesquelles débute l’histoire et aujourd’hui. Le narrateur nomme ainsi son assistante « mon p’tit », un surnom toléré à l’époque mais qu’elle accepte de moins en moins au fur et à mesure que le temps avance. Sans oublier Charlotte, cette espionne spécialiste des déguisements et qui veut absolument endosser des rôles masculins…

Malgré tout, la richesse de ce spectacle a aussi son pendant négatif : au vu du nombre de références et de personnages, on se perd parfois un peu dans les méandres de cette histoire, qui finit tout de même par retomber sur ses pattes !

Maîtriser l’art de la comédie musicale

La Compagnie Confiture est ancrée depuis bientôt trente ans sur la scène culturelle genevoise, et a déjà exploré de nombreux genres de spectacles. Pour autant, la comédie musicale est un élément plus inédit pour elle. En s’associant avec l’EMA, qui présente des musiques aux influences résolument électro et rock, elle réussit le pari de mettre son humour au service de la musique, ou l’inverse. On ne sait trop dans quel sens tourner cela, tant l’alchimie entre les deux fonctionne, donnant un rythme effréné au spectacle. Mention spéciale au cantique suisse, dont le mashup avec L’Internationale fonctionne à merveille pour ce qui sans aucun doute l’un des temps forts du spectacle.

L’alliance est ainsi parfaitement réussie entre tous les éléments, de la verve de la plume de la Compagnie Confiture, au talent musical des élèves de l’EMA, en passant les chorégraphies empruntées à divers styles de danse, ou à la mise en scène signée Pietro Musillo. On apprécie aussi le côté « revue » avec ses allusions à l’actualité et la dimension, totalement assumée, d’un spectacle résolument helvète. En mélangeant des artistes de différentes générations, Au service secret de la Confédération réussit également le pari d’attirer des publics d’âge varié. Une association qui fonctionne, donc ! On en redemande !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Au service secret de la Confédération, une comédie musicale imaginée par Gaspard Boesch, à la Salle Ernest Ansermet, du 15 au 28 avril 2024.

Dialogues et chansons : Philippe Cohen et Gaspard Boesch

Œil extérieur : Ylan Assefy-Waterdrinker

Direction d’acteur·ice·s : Gaspard Boesch et Philippe Cohen

Direction musicale : Antoine Courvoisier

Compositions : Nicolas Hafner, Antoine Courvoisier, Christophe Calpini et Alexandre Coppaloni

Chorégraphies : Karin Berner, Loic Dinga, Caty Eybert, Molly Hirt, Léa Jeambrun, Jonathan Lazzarotto, Kim Selamet et Guiti Tabrizian

Avec Carine Barbey, Charlotte Filou, Marie Fontannaz, Molly Hirt, Kim Selamet, Antoine Courvoisier, Philippe Cohen, Gaspard Boesch, Jonathan Lazzarotto, Léon Boesch et Pascal Schopfer (interprétation) et Romane Gauss, Tess Giordano, Loan Baeriswyl, Enzo Charré, Kevin Vallat et Simon Zeïer (musique live)

https://theatre-confiture.ch/

Photos : © Compagnie Confiture

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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