Les réverbères : arts vivants

Quand la passion de l’art dépasse le reste

Nous avons toutes et tous un rapport personnel à l’art : des œuvres, des artistes qui nous touchent, nous ont marqué, nous bouleversent… Dans Nos histoires de l’art, une ribambelle de personnages se retrouvent dans un parc pour discuter de cette passion qui les anime. À voir au Théâtre du Loup jusqu’au 5 mai.

Lorsque le grand rideau aux motifs de nappe de pique-nique s’ouvre sur la scène du Loup, il laisse place à un parc très graphique. À l’exception d’un banc, tout est peint et semble sortir d’un tableau de David Hockney : les arbres, le second banc, l’herbe au sol, mais aussi le parapluie et le manteau posés sur un banc. Même les personnages qui sont là, hauts en couleurs, semblent sortir d’une bande dessinée. Une femme passionnée d’ornithologie (Rossella Riccaboni) converse avec un homme, ancien boulanger (Thierry Jorand). Iels échangent sur l’art, bien vite rejoint·e·s par une musicien presque aveugle (Mael Godinat), une sportive venue faire son footing (Lola Riccaboni), deux jardinier·ère·s (Juliette Riccaboni et Adrien Zumthor), et deux adolescents en skate (Emil et Léon Zurn). Tou·te·s ensemble, iels échangent sur différentes formes d’art : du plus long papyrus retrouvé aux étranges machines de Fischli et Weiss, en passant par Niki de Saint-Phalle, Hockney, Vermeer ou encore Artemisia Gentileschi, iels nous emmènent avec elles et eux dans [Leurs] histoires de l’art

« Tout art s’adresse aux sens, d’abord, plus qu’à l’esprit » (Francis Carco)

Le spectacle s’apparent à une forme de conférence improvisée. Le rendez-vous de passionné·e·s qui se retrouvent dans un décor enchanteur les amènent à parler d’art et de tout ce qui les anime à travers lui. Une joie de vivre et une forme d’émotion difficile à décrire se dégagent de ces personnages. Quand iels parlent d’un·e artiste, on sent qu’une flamme les anime, qu’il s’agisse d’art engagé, abstrait, ancien, contemporain… À grands renforts de citations d’artistes sur leur pratique – on n’est pas parvenu à toutes les compter – iels discutent, s’accordent ou non, s’écoutent, apprennent, sans jamais juger. Si ce n’est les corneilles envers Picasso… Dans Nos histoires de l’art, il est ainsi question du pouvoir rassembleur de l’art, sous toutes ses formes.

Tout commence donc avec le plus long papyrus retrouvé, avec toute la conception du monde qu’il comporte. Ce qui permet à Monsieur Constant, l’ancien boulanger, de se questionner sur la vision qu’on eue d’autres artistes, qui va totalement à l’encontre de celle des Égyptien·ne·s. Voilà la discussion lancée… L’un rebondit sur telle technique, tandis que l’autre pense à telle artiste qui a envisagé cette thématique différemment. Les liens se tissent ainsi au fil des réflexions de ces personnages, dans un dialogue à huit qui s’enchaîne de manière tout à fait naturelle. Si l’une paraît très engagée, évoquant des artistes féministes engagées, comme Niki de Saint-Phalle ou Artemisia Gentileschi, un autre nous fait découvrir cet artiste congolais spécialiste des maquettes créées uniquement à partir d’objets de récupération. On découvre alors Isek Kingelez et les villes fantastiques qu’il a imaginées. Lui qui est parti de rien, sans aucune formation, est devenu mondialement connu. C’est l’occasion d’évoquer le parcours tumultueux de Hockney, dont l’homosexualité a été compliquée à assumer, ou de la fin tragique de Vermeer, décédé en étant criblé de dettes. Car il y a bien une chose que tou·te·s ses artistes ont en commun : une vie qui ne les a pas épargné·e·s.

« L’art est une évasion de la réalité. » (Henri Matisse)

Si certain·e·s ont choisi l’art comme manière de s’exprimer et de lutter contre ce qu’iels ont vécu, d’autres ont tenté de s’évader, de s’éloigner de la réalité. C’est ce qui nous arrive en assistant à ce spectacle : pendant 1h35, le temps est comme suspendu. Et l’on pourrait passer des heures à les écouter. Toutes et tous sont complètement différents, dans leur parcours, leur âge, leur vie, leurs centres d’intérêt. Et pourtant… l’art les relie, iels se retrouvent là-dessus. Avec cette question, sous-jacente et éternelle : « Qu’est-ce que l’art ? »

Il n’y a pas de réponse, et pourtant il en existe une infinité. À chacun·e son avis, son regard sur l’art. Car l’art peut avoir différents buts, ou aucun, selon les conceptions. L’objectif de Nos histoires de l’art n’est pas de le définir, loin de là. C’est sans doute la grande force du spectacle : faire découvrir des artistes peu connu·e·s, ou des facettes ignorées des plus célèbres. À l’aide d’anecdotes, d’interprétations ou de recherches effectuées, toutes et tous apportent leur pièce à l’édifice, sans tomber dans un excès de vulgarisation ou, à l’inverse, dans un trop-plein d’informations. L’équilibre est idéal entre les deux. Jusqu’à l’incroyable surprise finale, qui a ébahi le public, et qu’on ne vous dévoilera pas ici. Le mieux est encore de vous rendre au Théâtre du Loup pour y écouter Nos histoires de l’art, avec les oreilles, mais aussi avec les yeux.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Nos histoires de l’art, conçu par Eric Jeanmonod, du 19 avril au 5 mai 2024 au Théâtre du Loup.

Mise en scène : Eric Jeanmonod

Avec Mael Godinat, Thierry Jorand, Juliette, Lola et Rossella Riccaboni, Adrien Zumthor, Emil et Léon Zurn

https://theatreduloup.ch/spectacle/nos-histoires-de-lart/

Photos : ©Elisa Larvego

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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