Les réverbères : arts vivants

Quand la solitude mène à la fin du couple

Au répertoire du POCHE/GVE depuis le 17 novembre, Dans le bar d’un hôtel de Tokyo, de Tennessee Williams, raconte l’érosion du couple Miriam&Mark, où l’un n’arrive plus à combler la solitude de l’autre. La nouvelle traduction de Guillaume Poix et la mise en scène de Manon Krüttli nous emmènent dans un univers inédit.

Assise à la table d’un bar, Miriam (Jeanne De Mont) tente de séduire le barman (Jean-Louis Johannides). Mais ce dernier est fiancé, et fidèle, dit-il. Derrière cette approche se cache en réalité une grande solitude. Miriam n’est plus heureuse dans son couple. Son mari Mark (Fred Jacot-Guillarmod) est un artiste en manque d’inspiration, et elle n’en peut plus. Mark semble en plus décliner petit à petit, ne sachant plus marcher, se raser sans se couper, se laver correctement… Alors Miriam rêve d’une autre vie, des cerisiers en fleurs de Kyoto, d’un voyage en train. Elle veut revivre, tout simplement.

Un spectacle sur la solitude

Sur la scène du POCHE/GVE, Jeanne De Mont excelle dans le rôle de Miriam. Comme on l’aura rarement vu dans les textes de Tennessee Williams, c’est elle qui a tout pouvoir. Elle, la femme, séductrice, celle à qui personne ne résiste, jusqu’à ce barman tokyoïte… Si elle semble dégager une grande confiance en elle, Miriam cache en réalité une grande peine. Son mariage, loin d’être heureux, ne lui apporte que tristesse et désespoir, et il devient de plus en plus difficile pour elle de supporter Mark. Au-delà des mots, c’est par le jeu que Jeanne De Mont l’exprime le mieux : le contraste entre la voix suave et les gestes suggestifs qu’elle a envers le barman et sa manière d’être sèche et froide envers Mark crée un décalage qui en dit bien plus que le texte. On y ressent le dégoût, la façon dont elle veut se débarrasser d’un homme qui s’est enfermé dans son art et n’a plus conscience de la réalité. Quant à la maladie qu’elle lui suppute, est-elle réelle ou non ? Chacun·e se fera sa propre idée…

Cette solitude, c’est bien la seule chose que le couple partage encore. Le temps passe et est figuré par les lumières qui se tamisent le soir venu, et les dialogues qui en disent long. Comme le raconte Miriam, Mark passe ses journées confiné dans sa chambre, à peindre sur ses toiles clouées au sol et avec lesquelles il a plus d’intimité qu’avec son épouse. Lui qui était un grand peintre à succès ne crée plus rien de bon. Preuve en est avec son meilleur ami Leonard (Zacharie Jourdain), responsable d’une galerie et qui préfère temporiser avant de l’exposer. Un bel exemple de fuite en avant…

Un texte extraordinaire

Et pourtant, il existe encore une certaine complicité entre Miriam et Mark. Le texte de Tennessee Williams marque par un style totalement original : certaines phrases ne se terminent pas. Ou plutôt si, mais elles sont coupées par un point avant la fin : « Si moi je, tu rentrerais avec moi ? Bien sûr que tu. » Malgré ces césures nettes, Miriam comprend toujours ce que veut dire Mark et parvient bien souvent à finir ses phrases. Y aurait-il un espoir, celui que Miriam puisse être la seule à pouvoir encore sauver son mari ? Sans doute que non, tant Miriam éprouve du dégoût à l’encontre de son mari. Si elle part, il sera définitivement seul. On peut dès lors voir ces césures autrement : elles symboliseraient celles du couple. Arrivées petit à petit, elles ont atteint un point de non-retour et les deux ne se complètent plus. Une vision sans doute pessimiste, mais c’est celle qui ressort sans doute de la mise en scène de Manon Krüttli.

Le texte de Tennessee Williams est d’un réalisme profond, et très concret. Il décrit ainsi très bien certains états intérieurs des personnages, leurs ressentis, mais aussi les décors et le lieu, ce bar dans lequel ils évoluent. Pourtant, la scénographie n’a rien d’un bar. Elle est la même que pour tous les spectacles au répertoire jusqu’à fin 2021, et figure plutôt l’intérieur d’un appartement. Un trou y a simplement été ajouté en plein centre pour figurer le comptoir du bar. Ce choix n’est pas anodin : la scénographie ne montre rien, elle laisse toute place au texte et au jeu des comédien·ne·s, qui sont là pour transmettre les sentiments à l’imaginaire du public, qui peut ressentir les choses de différentes manières.

Et si les interprétations peuvent être nombreuses et variées, Dans le bar d’un hôtel de Toyko raconte pour moi la solitude d’un couple qui n’est plus sur la même longueur d’ondes. Et si l’affiche du spectacle dit tout haut : « J’ai peur qu’on ait épuisé le sujet de la solitude », ce spectacle y apporte au contraire un éclairage nouveau, grâce à la finesse du jeu des comédiens et aux décalages qui se créent entre eux, pour un moment tragi-comique très fort.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Dans le bar d’un hôtel de Tokyo, de Tennesse Williams, dès le 17 novembre 2021 au répertoire du POCHE/GVE.

Mise en scène : Manon Krüttli

Avec Jeanne De Mont, Fred Jacot-Guillarmod, Jean-Louis Johannides et Zacharie Jourdain

https://poche—gve.ch/spectacle/dans-le-bar-dun-hotel-de-tokyo

Photos : © Carole Parodi

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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