Les réverbères : arts vivants

Quand le passé ressurgit, les masques tombent

Si réussite en amour rime avec réussite professionnelle, le retour d’un souvenir occulté pourrait bien redistribuer les cartes. C’est ce qui se passe dans Ma chère sœur, à voir au TAMCO jusqu’au 13 avril.

Catherine (Anne Comte) et Werner (Attilio Sandro Palese) filent le parfait amour : un couple lisse, sans histoire. Lui est un entrepreneur accompli, elle, une architecte à qui tout réussit. Bref, la vie de rêve ! Seulement voilà, alors que Catherine attend Werner pour aller dîner dans un restaurant étoilé, Alexia (Solène Schnüriger), sa demi-sœur dont elle n’avait plus de nouvelles depuis des années, débarque. La jeune femme, à la personnalité instable, définie comme une « boule de flipper » et junkie notoire, fera ressurgir les démons du passé. De quoi ébranler l’image de la femme accomplie et sans histoire de Catherine. S’ensuivra la rencontre d’Alexia avec Pierre (Raphaël Archinard), un jeune étudiant dont le passé familial entretient un sombre lien avec Werner. Le statut de l’entrepreneur de l’année commence à se fragiliser…

Voir derrière les apparences

Une image trop lisse cache souvent quelque chose, dit-on souvent. Dans Ma chère sœur, cette vérité prend tout son sens. On admire la finesse du texte, qui parvient à nous prendre à revers. Lorsqu’Alexia débarque, détrempée, désemparée et sans doute sous l’emprise de quelque substance, on pense d’abord qu’elle va gâcher la merveilleuse soirée de Catherine et Werner. C’est elle l’intruse, qui arrive sans prévenir, contrecarrant les plans. De ce qu’on comprend de son histoire, elle enchaîne les petits boulots, les rencontres sans avenir, vogue de ville en ville, là où le vent la porte. Aurait-elle vraiment mal agi par le passé ?

Bien vite, la réponse s’avère négative. Alexia est une victime, d’un père qui lui a préféré sa belle-fille et d’une mère complètement débordée. Catherine est d’ailleurs loin d’être innocente dans cette histoire… Sa Chère sœur devient alors l’élément déclencheur de toute la suite du spectacle : c’est elle qui fera tomber les masques, malgré elle. Le texte d’Alain Knapp se développe alors tout en subtilités. Les deux êtres si purs du début révèlent de lourds secrets, tant au niveau personnel que professionnel. C’est ensuite dans leurs relations avec les autres qu’iels font ressortir leur vraie nature. Werner a tout du pervers narcissique qui veut tout contrôler et ne supporte pas qu’on lui résiste ; Catherine de son côté n’accepte pas de perdre la main sur ce qu’elle a mis tant de temps à construire. Comme on dit, le vent finit toujours pas tourner, et l’on paie les pots cassés…

Une mise en scène au service du texte

Ma chère sœur, c’est un texte qui raconte des fêlures, celles de personnalités complexes, qui semblent se moduler différemment selon les interactions auxquelles elles sont confrontées. Il en va de même du décor : tout est composé de modules de bois, de palettes, qui se transforment pour figurer tour à tour le salon de Catherine, les marches d’un bâtiment urbain en pleine nuit, le café d’une gare ou la chambre de Pierre. Il y a, dans ce décor, quelque chose de brut, de presque organique, comme les êtres humains qui se dévoilent sous nos yeux. Et dans ce décor, il y a aussi cette régie à vue et la musique jouée en live par Igor Gase et Raphaël Archinard. Comme une intention de tout dévoiler, alors que les personnages passent leur temps à tenter de masquer leur véritable nature.

Mais ce qui nous marque particulièrement dans la mise en scène d’Erika von Rosen, ce sont les transitions entre les scènes, qui sont un parfait pendant au texte. Alors que la pénombre règne sur la scène, permettant aux comédiens de modifier le décor, la musique résonne et l’un des personnages reste, chaque fois différent, pour interpréter une chorégraphie qui en dit long sur sa personnalité. Werner mime des pistolets avec ses mains, comme s’il allait tuer ses opposants ; Catherine semble s’effondrer, tenter de reprendre le dessus, puis s’effondrer à nouveau avant de montrer une image d’une femme inébranlable ; Alexia chute et se relève sans cesse, comme trimbalée d’un bout à l’autre de la scène sans être totalement maîtresse de ses mouvements ; Pierre enfin ne danse pas, mais chante, montrant toute la sincérité de son amour pour Alexia et sa volonté de l’aider. En vain ?

Ma chère sœur, un spectacle sur les fissures humaines, sur le passé qu’on cherche à cacher mais à quoi bon finalement ? Il tapera sans doute un jour à la porte. Un spectacle qui nous questionne sur notre propre volonté à dévoiler nos secrets et surtout, à accepter nos erreurs pour aller de l’avant, au lieu de les enfouir…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Ma chère sœur, d’Alain Knapp, du 30 mars au 13 avril 2021 au TAMCO.

Mise en scène : Erika von Rosen

Avec Anne Comte, Solène Schnüriger, Attilio Sandro Palese, Raphaël Archinard et Igor Gase

https://www.tamco.ch/productions/ma-chere-soeur

Photos : © Sandra Pointet

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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