Les réverbères : arts vivants

Quand le rideau s’ouvre…

Après Rolle, Vevey, Sion et Lyon, La Grosse Déprime arrive aux Scènes du Grütli à Genève. Et nous avons l’aubaine de rencontrer Marie Ripoll, Matteo Prandi et Adrien Mani qui forment avec Cécile Goussard le Collectif moitié moitié moitié. L’occasion de parler avec elles et eux de création collective, de chant barbershop, d’humour et de dette publique.

Faire groupe

Les quatre comédien·ne·s se sont rencontré·e·s à la Manufacture, Haute école des arts de la scène de Suisse romande. Formé·e·s au sein de la même promotion, leur goût commun pour le chant et l’absurde les réunit. Un fois diplômé·e·s, iels continuent de créer ensemble : naît alors le Collectif moitié moitié moitié, dont le nom reflète à la fois la tonalité de leur humour, la délicatesse d’une fondue et leur enthousiasme dans l’exploration des détails. Un premier spectacle voit le jour en 2018 Histoires sans gloire et pratiquement sans péril pour 4 voix sur pente raide, suivi en 2021 par Objectif projet et récemment La grosse déprime. Mis à part l’humour et le chant, ce qui rassemble depuis dix ans ce collectif, c’est l’envie de questionner, sur plusieurs niveaux, parfois plus poétiques, parfois plus politiques, ce qui fait groupe : face à l’immensité de la montagne, face au monde du travail ou, dans la pièce qui nous intéresse aujourd’hui, face à la domination de la classe bourgeoise et de l’ultralibéralisme à travers la question des finances publiques.

A cappella

Sur chacune des créations du collectif, la présence du chant a capella à 4 voix est un moyen pour elles et eux, tou·te·s également musicien·ne·s, de faire écho à la thématique du faire groupe, mais également d’aller à la rencontre du public en osant se montrer plus vulnérables et dans une certaine fragilité « dans l’espoir de partager un espace qui va plus loin que le texte, plus loin que le théâtre »[1]. À la différence des autres spectacles, pour La Grosse Déprime, les quatre comédien·ne·s ont écrit elles et eux-mêmes les paroles des chansons, dans un dialogue joyeux et amplificateur avec le compositeur Lucien Rouiller. Elles sont apparues très vite dans le processus de création, avant même le texte du spectacle également co-écrit par les quatre membres du collectif, qui travaille selon un processus créatif et un mode de production horizontaux. Chacune, chacun exprime ses idées, les met par écrit, ce qui fait, énumèrent-iels, une foule de papiers, de fragments, de blagues, de textes dont certains sont choisis et sur lesquels iels repassent, encore et encore. Même une fois en jeu, des éléments continuent d’être modifiés, c’est vivant !

La richesse des collaborations

Ayant une temporalité d’écriture plutôt lente, me confient-iels, c’est aussi au contact de leurs collaborateur·ice·s, que certaines décisions dramaturgiques sont prises, afin souvent de respecter les délais. Pendant que des choix sont faits pour les costumes (Augustin Rolland), la scénographie (Lucie Meyer), ou la création lumière (Guillaume Gex), le spectacle continue, tout en influence et porosité, d’être écrit, en réponse et en dialogue avec les diverses créateur·ice·s qui pour beaucoup sont là depuis la première création. Les costumes – dont les très belles robes qui ne laissent pas indifférent l’œil des spectateur·ice·s – et la scénographie renvoient à une autre époque, tel un hommage à un théâtre un peu daté. Le collectif a souhaité prioriser la seconde main et la récupération, et explorer la piste du faux-raccord pour son univers visuel façonné de toiles peintes choisies parmi les trouvailles de la scénographe.

Se réveiller

Si le décor est constitué de plusieurs toiles peintes, la métaphore peut se filer jusque dans la construction dramaturgique : des tableaux successifs, qui sont les éléments d’une enquête émotionnelle, et non pas une recherche d’une solution concrète, au sujet de la dette publique. Un concept qui peut paraître difficile d’accès, et c’est bien là un des problèmes, comme le soulève mes interlocuteur·ice·s. Trop souvent on nous fait croire, de manière très infantilisante, que ces questions économiques sont beaucoup trop complexes pour nous, et qu’elles sont réservées uniquement à la classe politique bourgeoise. Sans vouloir proposer une vulgarisation économique, le Collectif moitié moitié moitié souhaiterait, à travers son spectacle, « participer à un effort de réveil »[2] et permettre un premier élan réflexif et une réappropriation de ces questions, qui ont des conséquences importantes et concrètes dans les corps et les vies des gens.

Si la pièce s’empare d’une forme de désespoir politique, elle le fait avec la complicité de deux antidotes puissants : l’humour et la musique à travers un répertoire barbershop, à découvrir, véritable baume de pop.

Charlotte Curchod

Infos pratiques :

La Grosse Déprime du Collectif moitié moitié moitié, du 16 au 30 mai 2025 aux Scènes du Grütli

Mise en scène : Collectif moitié moitié moitié

Avec Cécile Goussard, Adrien Mani, Matteo Prandi, Marie Ripoll

Oreille interne et externe : François Renou

Direction assistée : Clémence Mermet

Composition : Lucien Rouiller

Création lumière et régie : Guillaume Gex

Scénographie :  Lucie Meyer

Aide à la scénographie : Charlotte Nicolas

Costumes : Augustin Rolland

Administration et production : Samuel Bezençon

https://grutli.ch/spectacle/la-grosse-deprime

Photos : ©Aurelia Thys

[1] Propos recueillis durant l’entretien du 14 mai avec le Collectif moitié moitié moitié

[2] Comme l’écrit Sandra Lucbert, Le Ministère des contes publics, qui a beaucoup influencé l’écriture du spectacle.  

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