Les réverbères : arts vivants

Quand les arbres content

Dans le cadre de l’événement culturel, écologique et social La forêt parle au Théâtre de la Parfumerie, un spectacle de contes éponyme nous ramène à la sagesse de celles et ceux qui savent écouter la nature. Sur scène, Cathy Sarr, Amanda Cepero, Deirdre Foster, Olivier Sidore et Patrick Mohr font danser les mots et les images autour d’un vénérable olivier bercé par une lumière diaphane.

Prenez une grande feuille d’érable. Fermez les yeux. Vous êtes la tige.  Les nervures principales représentent les membres de votre famille depuis des temps immémoriaux. Les souvenirs remontent. Les veines secondaires sont vos aïeuls. Multitude unie. Vous êtes un·e dans l’immense canopée. Les autres feuilles sont cousines. Le public est rhizome. L’arbre-monde (Edouard Glissant). Le spectacle peut commencer.

Sur scène un olivier. Il est là depuis le XIIème siècle. Il a vu François d’Assise méditer sous ses branches. Il en aurait des choses à dire. D’ailleurs, si nous écoutions mieux les histoires sous l’écorce, nous en apprendrions tellement… Autour de l’arbre, cinq conteur·euses jonglent avec la langue pour nous rappeler que nous avons fait fausse route en voulant séparer la culture de la nature au nom d’une prétendue modernité (Philippe Descola). Et qu’il est urgent de réatterrir (Bruno Latour) pour reprendre notre humble et juste place dans la ronde des vivants.

Trois conteuses et deux conteurs pour cinq contes. Si cet aulne pouvait exaucer vos souhaits, que lui demanderiez-vous ? L’ambition de posséder plus que ce que nous avons ? Méfiance, cela peut conduire à notre perte. Patrick Mohr le figure de manière impressionnante en campant et bruitant un lion effrayant. Deirdre Foster, quant à elle, remonte à la source de nos larmes, entre rosier et arbre fleuri, pour trouver la clé du soulagement. Amanda Cepero, à l’ombre des branches de la vie et de la mort, nous rappelle que la nature est parfaite et que l’homme ne doit pas vouloir la contrôler au risque de la détruire. Olivier Sidore déploie ses talents d’imitations animales pour nous faire comprendre que les arbres parlent à celles et ceux qui savent les entendre. Et finalement Cathy Sarr, entre deux chants wolofs, nous dit pourquoi le cœur du baobab se réouvrira quand celui de l’homme aura fini de faire l’hyène.

Le spectacle file ainsi, organisé de manière classique, chaque conteur·se ayant son quart d’heure pour mettre en valeur une histoire tirée d’un répertoire qu’elles et ils ont exploité trois ans durant à travers le projet « Plante ton arbre ». Les contes sont joliment agrémentés de sonorités issues de percussions manuelles, d’un kalimba, d’un hang et en mettant le public à contribution. En soi, rien de très original si nous ne considérions pas cette performance dans un grand tout qui est bien plus que la somme de ses parties. Car c’est bien là l’enjeu : passer du one shot à une action culturelle, écologique et sociale sur la durée permettant la conscientisation de la problématique et, au mieux, des changements de comportement.

En effet, face aux défis du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, il faut contrer la passivité intergénérationnelle actuelle en multipliant les grands récits oraux et écrits. Ceci, comme l’écrit Dominique Grandgeorge, pour refaire de la nature une valeur sacrée du contrat social de notre XXIème siècle en péril : Il ne fait aucun doute que nous avons perdu le sacré et aucun sens collectif ne peut exister sans le sacré. La mondialisation compétitive, source de stress, peut se transformer en sentiment d’appartenance planétaire, si nous arrivons à nous mettre d’accord sur des valeurs communes. L’écologie peut proposer une vision commune du monde à tous les humains. La sacralisation de la Terre peut nous aider à retrouver du sens et nous soulager de l’angoisse existentielle provoquée par le chaos climatique, économique et social actuel.

Ainsi, nous pourrons reconstruire une mémoire émotionnelle qui permettra de repenser les liens unissant l’humain et la nature. Chaque spectacle sur la forêt, chaque conte sur les arbres, chaque poésie sur les feuilles participe à cela. Les racines sont là. Continuons à les arroser. Ça va fleurir.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

La Forêt parle, Un évènement culturel, écologique, et social créé par le théâtre Spirale, du 9 au 20 octobre 2024 à la Parfumerie. Programme ici.

Coonception et coordination du projet : Patrick Mohr

Avec Patrick Mohr, Olivier Sidore, Amanda Cepero, Cathy Sarr et Deirde Foster

Photos : © Samira Kovacevic et Piotr Krzeslak

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Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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