Quand les héros ne sont pas ceux qu’on croyait
Bonnie Parker et Clyde Barrow font sans aucun doute partie des criminels les plus célèbres de l’histoire américaine. En 2019, sur Netflix, John Lee Hancock consacre un film à leur traque, en s’inspirant des faits réels et en se concentrant sur les deux hommes qui les poursuivent : les Highwaymen.
Nous sommes en 1934, en plein période de Grande Dépression aux États-Unis. Le clan Barrow enchaîne les braquages de banque, mené par le couple désormais légendaire, Bonnie and Clyde. Les méthodes d’investigation du FBI s’avérant inefficaces pour les retrouver, on décide, plus ou moins contre l’avis de la gouverneure du Texas « Ma » Ferguson (Kathy Bates), de demander de l’aide à deux Texas Rangers retraités. Avec leurs méthodes bien à eux et leur instinct avant tout, Frank Hamer (Kevin Costner) et Maney Gault (Woody Harrelson) traquent les criminels dans tout le Sud et États-Unis, jusqu’à finir par les abattre, accompagnés de quatre autres Rangers.
L’Amérique des années 30, comme un classique
On pourrait classer The Highwaymen à mi-chemin entre le thriller et le road-movie, avec quelques allusions au genre du western. Thriller d’abord, parce que le film raconte une traque, avec ses rebondissements incessants, ses moments où l’on croit que les deux Rangers vont enfin capturer leur proie alors que non… Le tout agrémenté d’une gouverneure qui leur met des bâtons dans les roues en s’opposant à leur action dans la presse, tout en étant consciente de la nécessité de leur présence sur le terrain. À travers cette poursuite, John Lee Hancock nous montre aussi le contexte si complexe de l’époque : des jeux de pouvoirs politiques pour tenter d’amadouer l’opinion publique, fortement défavorable en raison des difficultés économiques qui jalonnent le pays depuis le krach de 1929. Pour autant, la fin des méfaits de Bonnie et Clyde ne sera pas accueillie aussi bien qu’escompté par la population texane. Bien sûr, The Highwaymen se permet pas mal de libertés par rapport à l’histoire, mais l’essentiel demeure sans doute plus dans certains symbole qu’il véhicule, plus que dans la véracité des faits…
Revenons aux genres cinématographiques que met en avant ce film. The Highwaymen est aussi un road-movie dans la plus pure tradition du cinéma américain : Frank et Maney parcourent les grandes routes désertiques du Sud des États-Unis, sur fond de musique de l’époque, le tout en alternant plans larges sur le paysage et autres plans plus resserrés, dans l’habitacle de la voiture, évoquant l’évolution de leur relation. Les paysages sablonneux ne sont pas sans rappeler les décors de western, et l’on pense évidemment à des films comme Le bon, la brute et le truand, où la poursuite entre les protagonistes est également centrale… Mais ce qu’on apprécie surtout, c’est de voir un autre visage des Texas Rangers – à une époque où ils sont quelque peu en disgrâce, avant d’être totalement réhabilités par le gouvernement en 1935 – plus humain. Ainsi, alors qu’on pourrait les penser sans cœur, simplement là pour exécuter leur tâche et leurs cibles – pour preuve cette scène dans l’armurerie où Frank achète une impressionnante quantité d’armes pour être certain de ne pas rater son coup – on en apprend plus sur leur histoire. Évoquant leur passé au fil des rencontres avec d’autres représentants de la loi, on comprend bien qu’ils ne font pas tout cela par pur plaisir, et que la mort de leurs adversaires ne les laisse pas indifférents, bien qu’ils la considèrent comme juste…
Et s’ils n’étaient pas les vrais héros ?
Le film étant centré sur ces deux personnages de justiciers, qui parviennent d’ailleurs à leurs fins, on pourrait penser qu’ils sont les véritables héros. Pourtant, ce n’est pas vraiment ce que raconte la fin du film, ni ce que l’histoire a retenu. Une question simple s’impose pour illustrer mon propos : qui avait déjà entendu les noms de Frank Hamer et Maney Gault ? Et ceux de Bonnie et Clyde ? Il y a fort à parier qu’il y aura nettement plus de réponses positives à la seconde question…
Revenons donc à l’une des dernières scènes du film : alors que la voiture de Bonnie et Clyde, criblée de balles, est remorquée dans la ville proche de là où ils ont été abattus, une immense foule vient l’entourer, tentant de toucher, voire de récupérer n’importe quel objet leur ayant appartenu. On avait déjà eu un exemple de la ferveur autour de deux criminels un peu plus tôt dans le film, lorsque Maney, tout proche de Clyde, n’avait pu lui tirer dessus sans risquer de toucher un innocent venu saluer celui qui est devenu une idole. Dans une Amérique en crise, les héros ne sont finalement pas ceux que l’on croyait… Pour bien l’illustrer, John Lee Hancock nous montre d’ailleurs un impressionnant contraste : à l’opposé de la foule, nos deux Rangers s’en vont dans l’anonymat, dans leur voiture pleine de poussière – souvenir de la longue traque qui les a emmenés à travers une bonne partie du pays – avant de disparaître dans un dernier fade out…
The Highwaymen nous montre ainsi dans cette image finale la fascination du peuple pour les meurtriers. Une fascination qui demeure d’ailleurs aujourd’hui, j’en veux pour preuve le nombre de séries et documentaires sur les tueurs en série… Mais ce qui surprend et touche, c’est aussi la réaction des deux Rangers après la mort de Bonnie et Clyde, comme s’ils vivaient surtout pour la traque. Une fois celle-ci fini, leurs visages deviennent mornes, et ils n’exultent pas. Les voilà même qui refusent une interview, avec cette phrase forte transmise au journaliste : « Vous n’avez donc aucun respect ? ». Leur pudeur et le respect qu’ils montrent pour la mort des criminels contraste avec la joie de « Ma » Ferguson, qui s’empare de l’événement pour sa campagne, dans une forme de récupération politique assez abjecte. Enfin, chacun·e se fera son opinion…
Fabien Imhof
Référence :
The Highwaymen, réalisé par John Lee Hancock, avec Kevin Costner, Woody Harrelson, Kathy Bates…, États-Unis, 2019.
Photos : © DR