Les réverbères : arts vivants

Quand l’impro touche au cœur

Le douze dix-huit accueille, six soirs durant, Odile Cantero et Christian Baumann, pour leur Première rencontre. À chaque fois, deux nouveaux personnages font connaissance pour la première, sans rien savoir l’un de l’autre.

Le concept est le suivant : avant la représentation, chacun·e des comédien·ne·s reçoit une fiche avec des informations sur son personnage, créé par Tony Romaniello. Les voilà ensuite mis·es dans une situation à partir de laquelle iels ont 1h15 pour improviser cette rencontre et ce qu’il advient ensuite, soutenus par la lumière et la musique imaginées en live par Yannis Marti. Le décor, lui aussi, est simple : le plateau est encadré de néons, d’autres, en formes d’hexagones, descendent du plafond. On retrouve également deux chaises et une petite estrade montée sur roulettes. Le reste, c’est au public de l’imaginer à partir des interventions d’Odile Cantero et Christian Baumann. Ce soir-là, Stéphane, l’horloger du quartier, se rend dans l’échoppe d’Anna pour acheter des fleurs pour sa femme. Rapidement, le courant passe entre eux. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que l’épouse de Stéphane est en réalité décédée, ce qui donnera lieu à quelques quiproquos surprenants. Lui, mystérieux, et elle, maladroite, apprendront ainsi à se connaître, jusqu’à voir où leur relation évoluera…

Une complicité à toute épreuve

Pour tenir un spectacle pendant plus d’une heure, à deux, sans rien savoir de l’autre au début de la représentation, il faut un certain talent. On ne s’improvise pas improvisateur·ice, si vous me passez l’expression ! Cela demande de l’entraînement, pour développer des réflexes, apprendre à réagir aux interventions de l’autre, ne pas laisser de blancs… Dans Première rencontre, le duo joue sur plusieurs aspects, qui fonctionnent magnifiquement. À commencer par le fait qu’on ne sait jamais si Stéphane parle au premier degré, utilise une métaphore ou essaie de faire une blague. Le fait qu’Anna lui demande ou que lui-même souligne le fait que ses blagues ne marchent pas rend certaines situations tout à fait cocasses. En face de lui, Anna bafouille parfois, fait des fautes de français. Sont-elles voulues ou non par Odile Cantero ? Elle seule le sait… Là aussi, elle les souligne, en insistant sur le fait que ça n’arrive qu’en présence de Stéphane, jouant de fait sur la nervosité qu’il lui inspire.

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Les petits malaises qui surviennent régulièrement dans les situations d’improvisation nourrissent, une fois n’est pas coutume, le propos. Avec la nervosité de cette rencontre, cette espèce de séduction pas vraiment assumée, la peur de faire une bourde, on entre pleinement dans les premiers temps de la relation. Les deux personnages s’apprivoisent, se découvrent, et le fait d’ignorer des éléments sur l’autre, qu’iels apprennent au compte-gouttes, crée un décalage comique qui fonctionne magnifiquement. Car l’impro est bien souvent associée à l’humour, et ces deux-là n’en manquent pas !

Des émotions inattendues

On s’attend en revanche moins à être aussi touché·e et ému·e. C’est pourtant bien ce qui arrive avec cette Première rencontre. Avec ces deux personnages qui se rapprochent, s’ouvrent l’un à l’autre, se livrent. Des liens se créent, avec un potentiel amour naissant. Surtout, on apprécie de voit Christian Baumann dans un registre auquel il ne nous a pas habitué·e·s, loin du truculent inspecteur Reynolds, par exemple. Le voici donc avec un plus en douceur et en émotions, sans tomber non plus dans un excès de tragique. Son duo avec Odile Cantero fonctionne à merveille, elle qui joue une Anna enjouée, un peu maladroite, mais surtout particulièrement empathique et qui sera capable de redonner goût à la vie à ce pauvre Stéphane. L’utilisation de la caméra, dont les images sont projetées en fond de scène, pour remémorer à Stéphane quelques souvenirs vécus avec elle, est une autre jolie idée de ce projet d’impro.

Au final, cette Première rencontre nous rappelle certaines comédies romantiques, mais sans tomber dans certains clichés vus et revus. On rêverait même que cela nous arrive, tant la douceur de ces deux êtres nous touche en plein cœur. Sans oublier de rire aussi. On pense notamment à cette scène finale, où celle, éculée, de l’aéroport, prend place dans la gare de Matran. Avec cette jolie inversion où, pour une fois, c’est elle qui court après lui, après l’avoir en partie éconduit. Un moment à la fois hilarant et particulièrement émouvant, qui résume bien cette soirée.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Première rencontre, par la Compagnie lesArts, du 16 au 25 janvier 2025 au théâtre le douze dix-huit.

Mise en scène : Tony Romaniello

Avec Odile Cantero et Christian Baumann

https://ledouzedixhuit.ch/spectacle/premiere-rencontre-2/¨

Photos : ©Sébastien Bovy

[1] Photos prises le 16 janvier, la représentation dont il est question ici étant celle du 17 janvier.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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