Les réverbères : arts vivants

Quand Monroe rencontre Lamarr

Au POCHE/GVE, on rend hommage à deux icônes du cinéma : l’auteur catalan Carles Batlle a imaginé la rencontre entre Hedy Lamarr et Marilyn Monroe. Dans la mise en scène d’Anne Bisang, la réalité côtoie la fiction, à tous les niveaux…

Hedy Lamarr (Valeria Bertolotto) et Marilyn Monroe (Jeanne De Mont) ont toutes deux incarné les canons de beauté à deux époques rapprochées : la première, brune et vue comme un peu délurée, a été l’objet de tous les fantasmes dès les années 30. La seconde, pin-up blonde dans toute sa splendeur, a marqué par ce que certains ont qualifié de beauté naïve. Voilà pour les facettes d’elles qu’on a mises en avant. Mais saviez-vous qu’Hedy Lamarr avait aussi marqué l’histoire scientifique ? Que Marilyn Monroe était une grande connaisseuse en matière de peinture ? Dans Still Life (Monroe-Lamarr), Carles Batlle tend à nous faire découvrir d’autres facettes de ces deux icônes, en imaginant deux rencontres entre elles, en 1962 puis en 1966, la veille de la mort de Marilyn…

Hommage au cinéma

Tout commence comme sur un plateau de tournage : on aperçoit sur la scène des projecteurs, une caméra, et ce siège typique des réalisateurs hollywoodiens. Une voix-off semble lire les didascalies et autres indications pour bien faire comprendre dans quel environnement se joue la scène qui va suivre. Les comédien·ne·s s’affairent pour tout mettre en place. Silence sur le plateau. Action. La mise en scène d’Anne Bisang nous plonge immédiatement dans ce rapport entre théâtre et cinéma qui sera au cœur de Still Life (Monroe-Lamarr). Si le texte original préconise de diffuser quelques extraits de films des deux actrices héroïnes de l’action, la metteuse en scène choisit ici d’écarter cette idée, préférant d’autres subterfuges. Les deux actrices discutent de certaines anciennes scènes, répétant certaines répliques. L’écran qu’elles semblent regarder se situerait à la place du public, et l’on n’aperçoit que des flashs, correspondant aux changements de luminosité de l’image. Avec ce choix de mise en scène, nous voilà plongé·e·s, immergé·e·s même dans l’appartement où se retrouvent Marilyn et Hedy. On préfère alors s’appuyer sur l’imaginaire, avec la description de certaines scènes, qui nous viennent en tête. Autre avantage : on ne voit pas le décalage entre les actrices originales et les deux comédiennes qui les incarnent. Il y a quelque chose de plus « vrai », authentique, et aucune projection d’extraits ne vient couper le rythme du spectacle. Les seuls projections proposées sont celles de Valeria Bertolotto et Jeanne De Mont, en noir et blanc et sans parole, comme si elles appuyaient ce qui nous est raconté sur scène. Le pouvoir de suggestion du théâtre prend tout son sens, et rien n’a véritablement besoin d’être montré pour qu’on perçoive le rapport étroit avec le cinéma.

Du théâtre documentaire ?

Carle Batlle, dans une interview, précise que tout ce qui est raconté dans le spectacle est vrai. Seule le contexte est imaginé : on ne sait pas si Hedy et Marilyn se sont véritablement connues. Si elles se sont sans aucun doute croisées, difficile de savoir si elles ont noué une amitié aussi forte que celle qui nous est montrée sur scène. Tout commence en réalité avec l’intervention de William (Léonard Bertholet), dont on ne saura guère plus que le prénom. Il prétend que Marilyn l’a appelé juste avant sa mort et lui a dit avoir passé sa dernière soirée avec Hedy. C’est donc tout naturellement qu’il cherche à en savoir plus sur leur relation. Voilà pour le point de départ, donc. Par la suite, les temporalités vont se mélanger, dans un va-et-vient de souvenirs, et ce sont d’autres facettes des deux actrices que nous découvrons.

Au fur et à mesure de l’avancée du spectacle, on est d’abord troublé par tout ce qui les relie : certains hommes qu’elles ont rencontré, un appartement dans lequel elles ont vécu chacune à différents moments, le fantasme absolu qu’elles incarnaient… On apprécie alors, dans le dialogue imaginé, de découvrir la dimension humaine de ces deux personnages, la femme derrière l’actrice pourrait-on dire. Still Life (Monroe-Lamar) est-elle pour autant une pièce féministe ? Il y a sans doute de cela, mais sans que cela soit ouvertement revendiqué. Tout semble naturel dans la façon de développer le propos. Sans se montrer vindicatives, Marilyn et Hedy évoquent de vieux souvenirs, comme cette « chasse au lapin », où Marilyn était le lapin et un groupe d’hommes les chasseurs. Le vainqueur aurait le droit de passer la nuit avec elle. Un exemple parmi tant d’autres de ce l’objectification qu’elles ont vécu. On comprend mieux pourquoi l’on retient d’elles la description que j’en ai faites au début de cette critique. Précisons ici qu’elle était volontairement appuyée dans ses aspects stéréotypés, afin de souligner la vision complètement opposée que nous présente le spectacle.

Rappelons ici que Hedy Lamarr a contribué à l’élaboration de technologies de codage de télétransmissions, encore utilisé aujourd’hui. Lorsque son brevet a expiré et que son âge d’or au cinéma était passé, Hedy s’est retrouvée à devoir voler dans les magasins. Et bien que cela ne soit arrivé qu’une seule fois, ainsi qu’elle le précise lors du procès, on voit bien là toute la reconnaissance qu’on lui a faite pour ce qu’elle a fait. Dès le moment où sa beauté a décliné, c’en était fini… On apprécie alors particulièrement le rôle de son fils Tony (Djemi Pittet), qui fait tout pour la soutenir et la réhabiliter pour ses mérites. Sans en dévoiler plus, on soulignera ici le joli pied-de-nez que font Marilyn et Hedy au gouvernement américain, en renversant la manipulation dont elles ont été victimes lorsque le président Kennedy a besoin de Hedy… Pour comprendre de quoi je parle, il ne vous reste plus qu’à vous rendre au POCHE/GVE.

Vous l’aurez compris, Still Life (Monroe-Lamarr) est une pièce extrêmement complexe et profonde, sur laquelle il est difficile d’être exhaustif, tant il y aurait à dire. On retiendra principalement toute la subtilité de l’écriture, de la mise en scène et du jeu, qui nous invitent à une autre perspective sur celles qu’on n’a trop vues que comme des canons de beauté…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Still Life (Monroe-Lamarr) de Carles Batlle, du 20 février au 12 mars 2023 au POCHE/GVE.

Mise en scène : Anne Bisang

Avec Valeria Bertolotto, Jeanne De Mont, Léonard Bertholet et Djemi Pittet

https://poche—gve.ch/spectacle/still-life-monroe-lamarr

Photos : © Isabelle Meister

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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