Qui a peur du Grand Méchant Loup ? Sûrement pas Lou !
Comme souvent au TMG, on révise ses classiques… mais avec une pointe de folie qui en relève la saveur, comme une pincée de sel dans une bonne soupe. Du 1er au 19 mars, on s’aventure dans la forêt des contes, en compagnie de Lou et de son ami le Loup. Bienvenue dans Sur les dents, écrit et mis en scène par Olivier Périat.
Il était une fois – oui, parce que toutes les bonnes histoires commencent ainsi… vous ne le saviez pas ? Il était une fois, donc, une petite fille prénommée Lou, qui vivait heureuse avec ses parents. Hélas ! Le sort s’acharna sur elle, en la personne d’une vilaine sorcière bien décidée à jouer les méchantes de l’histoire. Ni une, ni deux, la sorcière ensorcèle les géniteurs de Lou : au sixième anniversaire de la fillette, ses parents seront pris d’une faim tenace… et ne pourront résister à la tentation de la dévorer ! En attendant la date fatidique, Lou se désespère à chaque repas : on l’engraisse comme une oie pour qu’elle prenne du poids. Ça ne peut plus durer, pour Lou, c’est décidé ! La voilà qui part seule dans la forêt, en quête d’une solution.
Sur son chemin, elle croise un étrange personnage : un Loup – non, un Grand Méchant Loup, redoutable et redouté ! Quelle frayeur ! Mais ce loup-là est bien particulier : il a perdu toutes ses dents en mordant accidentellement un lapin en pierre posé dans un jardin. Entre Lou et le Loup, une amitié s’esquisse. Il faut dire que l’animal ne manque pas d’humour… et que la fillette au grand cœur a plus d’une idée en tête ! Et si, pour aider Loup, les deux nouveaux amis allaient voler le dentier de Mère-Grand ?
La fabrique mouvante des contes
Aucun doute, Sur les dents est une pièce qui parle à son public… qu’il soit petit ou grand ! Il n’y a qu’à regarder autour de soi : enfants, parents, grands-parents – tout le monde, du premier au dernier rang, retient son souffle en suivant les aventures de Lou et Loup. On rit, on frissonne, on s’émerveille – une palette d’émotions qui se déploie comme un arc-en-ciel. Et si Olivier Périat réussit ce tour de force, c’est parce qu’il parle à notre imagination en jouant habilement sur un fond culturel commun : les contes que l’on narre aux enfants.
Sur les dents mélange ainsi les histoires et les motifs. On y retrouve le Loup, la Mère-Grand et le Chasseur du Petit Chaperon Rouge, la pomme empoisonnée et la sombre forêt de Blanche-Neige, la crainte de l’anthropophagie chez Hansel et Gretel, les petits cailloux blancs du Petit Poucet, la méchante sorcière de La Belle au bois dormant… sans oublier la queue en tire-bouchon du dernier des Trois petits cochons ! De loin en loin, on croise aussi des références à la littérature jeunesse – comme cette scène du Petit Prince, où le Renard demande à être apprivoisé. Sous nos yeux émerveillés, les contes se mêlent – au même rythme que les décors se construisent : deux structures rectangulaires, comme des plans de travail ou des grosses boîtes, servent ainsi de scène aux marionnettes. À mesure que l’intrigue avance, on y déploie des panneaux, on y ouvre des portes et des fenêtres secrètes. Montées sur roulettes, les structures se déplacent d’avant en arrière, figurant tantôt le sol de la forêt ou la table des parents de Lou, la maison de Mère-Grand ou les arbres effrayants… De quoi faire écho au texte et proposer une véritable fabrique des contes, toujours en mouvement.
Cet écho aux contes, on le retrouve également dans la facture des marionnettes de table. Lou a des petits airs d’héroïne d’album illustré, avec ses couettes et ses grands yeux (sans oublier son courage et son ingéniosité, qui feraient pâlir Jack aux Haricots magiques !). Quant au Loup, il joue sur la dualité entre animalité / humanité : tantôt à quatre pattes, tantôt sur deux, il porte un gilet de cuir… mais court comme un véritable prédateur ! Mère-Grand, quant à elle, est vue entièrement à hauteur d’enfant (on n’aperçoit que ses grandes jambes et ses pieds, chaussés de pantoufles roses).
Poussière d’imagination
Pour autant, Olivier Périat ne se repose pas uniquement sur des thématiques connues. Grâce à trois marionnettistes-comédien·nes de talent (Fanny Brunnet, Khaled Khouri et Carole Schafroth), il les saupoudre d’une poussière de fée aussi poétique que loufoque : Mère-Grand devient ainsi une ancienne danseuse de french-cancan… et son dentier, un objet magique qui parle, encore plus efficace que la lampe d’Aladin ! La narration, elle aussi, emprunte aux contes tout en bousculant les règles : grâce aux interventions des marionnettistes, qui incarnent les personnages de l’histoire mais donnent aussi leurs avis (parfois très contrastés) sur l’avancée de l’intrigue, on retrouve le caractère oral du genre – ce qui permet beaucoup de fluidité et d’humour !
Mais ce qui apporte un réel rythme à cette aventure qui parle avant tout d’amitié et de confiance, c’est la dimension musicale. Émaillant l’histoire, les chansons interprétées en direct par la troupe soulignent l’avancée de l’intrigue… tout autant que les apprentissages que Lou et Loup vont faire en chemin. La musique permet dès lors de dédramatiser certaines situations effrayantes chez le jeune public (la peur de se voir dévoré-e par ses parents, celle de rencontrer un Grand Méchant Loup ou de devoir affronter une sombre forêt), en faisant respirer l’histoire. On se surprend à fredonner en rythme : pas de doute, si on nous donnait les paroles, nous aussi, on chanterait en chœur (et avec du cœur) !
Sur les dents est donc une pièce qui parle à notre âme d’enfant – et ça, quel que soit notre âge. La preuve : je m’y suis rendue le dimanche 5 mars, jour de mon anniversaire… eh bien, je ne me suis jamais senti si heureuse en sortant d’un théâtre ! Merci !
Magali Bossi
Infos pratiques :
Sur les dents, de Olivier Périat, du 1er au 19 mars 2023 au Théâtre des Marionnettes de Genève.
Mise en scène : Olivier Périat
Avec Fanny Brunet, Khaled Khouri et Carole Schafroth
https://www.marionnettes.ch/spectacle/270/sur-les-dents
Photos : © Carole Parodi